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L'Assassinat de la Duchesse de Praslin

L'Assassinat de la Duchesse de Praslin

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L'Assassinat de la Duchesse de Praslin by Albert Savine

Chapter 1 No.1

Un grand Mariage en 1824.

Vendu par Mme Fouquet à la mort de son fils, le chateau de Vaux vit rena?tre, après 1705, ses jours de splendeurs sous son nouveau propriétaire, le maréchal de Villars. La maréchale y re?ut noble et élégante compagnie et, après la mort du vainqueur de Denain, sous sa belle-fille choyée par la reine Marie Leczinska, parfois, sur le perron grandiose, quand les nuits étaient claires, Voltaire, qui se piquait de science, fit à de belles dames un cours d'astronomie. Puis, Vaux fut encore une fois négligé, ses nobles salles désertées et démeublées, ses parterres délaissés, abandonnés. Un paysan de Maincy avait-il besoin de pierres de taille, on lui laissait enlever celles des vasques et des bassins que rendait inutiles la destruction des canalisations.

Dans cette détresse de parc en ruines, Vaux retrouva un créateur. En 1764, la terre fut cédée à Gabriel, duc de Choiseul-Praslin, alors ministre de la marine, à c?té de son cousin le grand Choiseul. Ce fut une possession d'un caractère intelligent et réparateur. Gabriel de Choiseul habita parfois Vaux,-Vaux-Praslin, comme on l'appela dès lors-et quand la Dubarry fit congédier l'exilé de Chanteloup, la cour d'honneur du chateau vit aussi défiler ces nombreux carrosses dont la présence était un geste d'opposition contre les caprices de la favorite. Pour accueillir dignement tant de nobles visiteurs, Gabriel de Choiseul fit tendre dans le salon d'admirables tapisseries de Boucher: La Jeunesse de Bacchus, le Char du Soleil, les Cyclopes. Son ?uvre de reconstitution fut continuée par Regnault de Praslin, maréchal de camp, député à l'Assemblée Nationale par la noblesse de l'Anjou, l'un des premiers à se réunir au Tiers. Regnault mourut au début de la Révolution le 5 décembre 1791. Ce fut avec son fils, Antoine-César-Gabriel, que le chateau de Vaux connut les jours mauvais de la Terreur. Député suppléant à la Constituante, maréchal de camp sous le régime constitutionnel, il n'avait pas émigré. Il fut donc incarcéré dans les cachots révolutionnaires, et, quand Bonaparte rétablit l'ordre, il devint en l'an VIII un de ses premiers sénateurs. Charles-Raynald-Laure-Félix, qui porta le titre de duc de Praslin, se trouvait donc tout naturellement enrégimenté dans le personnel de la Cour impériale. Chambellan de Napoléon, il fut pair de France à la première Restauration, mais, ayant adhéré aux Cent-Jours, il tomba en disgrace et ne fut de nouveau appelé à la pairie qu'en 1819. Il avait épousé Charlotte-Laure-Olympe le Tonnelier de Breteuil, fille du comte de Breteuil, l'ancien confident de Marie-Antoinette, rallié lui aussi sur ses vieux jours au gouvernement impérial. Sa femme, d'un caractère autoritaire, lui laissait, disait-on, toute liberté et toute indépendance à condition d'être ma?tresse absolue à Vaux-Praslin et dans leur maison de Paris et de diriger à son gré l'éducation de leurs enfants. Il avait pour elle, bien qu'ils se détestassent [1], tous les égards, et même les soins les plus attentifs, quand elle devint aveugle. Mais le chateau, qui avait beaucoup souffert pendant la tourmente révolutionnaire, demeura au second plan dans ses préoccupations. Il n'eut pas moins de six enfants. L'a?né, Charles-Laure-Hughes-Théobald, était né le 29 juin 1805, bient?t suivi par Edgar (28 octobre 1806), Césarine (29 octobre 1807) qui devait être marquise d'Harcourt, Régine qui épousa Edgar de Sabran-Pontevès, neveu d'Elzéar de Sabran, pair et duc en 1825, Laure mariée au marquis de Calvière, Marguerite qui épousa Louis-Hector de Galard de Béarn, comte de Brassac.

Marie-Fran?ois-Henri de Franquetot, duc de Coigny. Dessin de Maurin, d'après Rouget. Lith. de Villain.

(Bibliothèque Nationale, Estampes.)

En 1823, Théobald, alors agé de 18 ans, ses études finies, se préparait à concourir à l'école Polytechnique. Joli homme, très choyé dans le monde que lui ouvrait son grand nom, il y rencontra dans un bal la fille du général Horace Sébastiani. Elle était fort jolie. Elle re?ut à merveille ses avances. N'était-il pas l'héritier désigné de ce chateau de Vaux-Praslin qui, tout abandonné, tout ruiné qu'il f?t, s'embellissait, à ses yeux d'imaginative emballée, des resplendeurs d'un glorieux passé? N'avait-elle pas parié avec des amies, les filles du duc de Rovigo, que Vaux serait à elle? Ayant ainsi joué ?à mon beau chateau?, elle ne pouvait être sévère à son futur propriétaire. Elle confondit dans un même élan d'amour chateau et futur chatelain. ?Ma grand'mère [2] n'avait aucun rapport avec votre père à cette époque, écrit-elle; mon père pas davantage. Il revint de Corse en mars 1824. Il eut plusieurs propositions pour moi. Il s'arrêta à celle de M. de Fitz-James. La veille du jour où la première entrevue devait avoir lieu avec M. de Fitz-James, le courage me manqua. C'était le 14 avril 1824, jour où j'accomplis mes dix-sept ans. J'allai trouver ma grand'mère et lui dis que j'étais décidée à rompre. Alors, elle me fit subir un long interrogatoire. Je finis par lui dire que je vous avais rencontré plusieurs fois cet hiver et que je préférais vous épouser. Elle fut effrayée de cette idée en me disant qu'il para?trait absurde à mon père que de neuf propositions je n'en voulusse aucune et que je fusse déterminée à épouser quelqu'un pour lequel on n'avait jamais songé à moi. Inutile de rapporter ici toutes les fureurs de mon père. Ma grand'mère, songeant à me tirer d'affaires, s'entendit avec Mme Victor de Tracy [3], qui voyait souvent à cette époque votre père. Elle se décida à acheter un bouquet de bois afin d'avoir l'occasion de prier votre père de venir lui donner ses bons avis. Alors seulement elle lui parla, et même assez ouvertement, la première. Huit jours après ma rupture avec M. de Fitz-James, votre père vint me demander. C'était le 22 avril 1824. Il fut convenu que vous entreriez à l'école Polytechnique et que le mariage aurait lieu lorsque vous en sortiriez. Les événements se pressèrent et le mariage eut lieu le 19 octobre 1824.?

Ce fut un grand mariage. Le baron Pasquier était le premier témoin du marquis. Toutes les aristocraties s'y rencontraient. Les Praslin y amenaient le faubourg Saint-Germain, auquel ils tenaient par leur origine; le comte Sébastiani, la noblesse impériale et la grand'mère, la marquise de Coigny, ses amitiés orléanistes. Fanny Sébastiani était, en effet, la petite-fille d'une femme qui avait beaucoup fait parler d'elle sous l'ancien régime, la marquise de Coigny.

Louise-Marthe de Conflans, petite-fille elle-même du maréchal marquis d'Armentières, élevée en dehors de ses parents qui vivaient séparés, presque depuis sa naissance, avait été mariée à 17 ans, au marquis de Coigny, fils du duc. Elle en eut successivement deux enfants, Antoinette-Fran?oise-Jeanne dite Fanny, née le 23 juin 1778, et Auguste-Louis-Joseph-Casimir-Gustave, qui vint au monde dix ans plus tard [4]. Les Franquetot de Coigny, comtes depuis 1650, ducs en 1747, appartenaient à une bonne noblesse et possédaient le chateau de Coigny, vieux castel féodal et Franquetot, chateau du XVIIIe siècle. Le chef de la famille, l'ex-favori de Marie-Antoinette, excellent courtisan, d'un ton exquis, d'une politesse admirable, d'une raison simple et juste, bien qu'il n'e?t ni talents militaires, ni hautes qualités administratives, avait été l'un des plus brillants causeurs de la société de la reine [5]. Son fils, le marquis, n'avait pas vécu en longue intelligence avec la marquise. Présentée à la Cour le 11 juin 1780, elle y avait rencontré Lauzun et l'on ne rencontrait pas en vain ce beau charmeur. ?Je ne pouvais me rendre compte, dit cet amant indiscret s'il en f?t, des sentiments qu'elle m'inspirait. Je n'osais m'y livrer. Ils n'en étaient pas moins délicieux. Moi, de l'amour pour Mme de Coigny, jeune, jolie, fêtée, entourée d'hommages, tous plus séduisants que les miens! Mme de Coigny m'aimer! J'étais bien plus certain d'être sans espoir que sans amour.? Bient?t Lauzun fut fixé sur les sentiments de la dame. C'était le 21 janvier 1782, jour où la ville de Paris offrait au roi un festin à l'H?tel de Ville. ?Au d?ner, raconte Lauzun, Mme de Coigny, parfaitement bien mise, avait une grande plume de héron noir, à droite, sur le devant de son habit. Voir cette plume et la désirer fut l'affaire du même instant.? Bient?t il eut la plume et avec la plume la femme. Le marquis de Coigny fut un des premiers à suivre La Fayette en Amérique. Puis, à son tour, Lauzun s'embarqua. Attaqué en mer par les Anglais, il attacha sur son c?ur les lettres de la marquise et ordonna de le jeter à la mer sans le déshabiller s'il était tué. Cette correspondance si tendre se poursuivit au delà de l'océan. ?Avec quelle simplicité touchante elle peignait son ame, raconte Lauzun. Elle ne me disait pas qu'elle m'aimait, mais elle me disait qu'elle comptait tant sur mes sentiments pour elle qu'elle me faisait presque autant de plaisir.? Leurs amours reprirent de plus belle, quand, après dix-huit mois d'absence, Lauzun revint d'Amérique chargé de lauriers conquis à Whiteplains et Yorktown. Ce sont des amants sinon fidèles, du moins inséparables. Lauzun avait beau avoir cent ma?tresses, il n'oubliait pas Mme de Coigny. La marquise pouvait tourner la tête au prince de Ligne; elle ne fermait pas pour cela son c?ur à celui à qui elle avait donné sa plume de héron. Un jour, cependant, Lauzun sembla lui être définitivement ravi. Sa cousine, la belle Aimée de Coigny, duchesse de Fleury, la future ?Jeune Captive? était entrée en ligne. Pourtant, il n'y eut point de rupture et quand Gustave naquit le 4 septembre 1788, il passa pour le fils de Lauzun.

Si la marquise était légère, elle n'entendait pas qu'on le d?t. Elle prétendait que Laclos l'avait peinte dans sa Mme de Merteuil et lui fit fermer sa porte. ?Ce n'est pas une bête que le baron, disait-elle, c'est un sot.? Les flèches que lui décochaient les poètes lui étaient insupportables et, certes, ils ne lui ménageaient pas leurs traits:

Vous voltigez de conquête en conquête,

Plus vous fuyez, plus nous nous éloignons.

Pour moi, je cours de coquette en coquette;

Chemin faisant, nous nous rencontrerons.

Elle aussi avait la langue mauvaise et l'h?tel de Coigny, rue Saint-Nicaise, était un des principaux centres d'où partaient les épigrammes contre la reine et ce que la belle marquise appelait la racaille aristocratique. ?Je ne serai jamais que la reine de Versailles, disait mélancoliquement Marie-Antoinette, la marquise sera toujours la reine de Paris.? La faillite de Guémenée, la disgrace de Rohan, peu de temps après le mariage de Louise-Aglaé, sa s?ur cadette, avec le jeune prince de Rohan, l'avait jetée dans l'opposition. Elle fut furieuse de voir le cardinal brisé par le procès du Collier. Et puis comment ne pas sentir la dureté de certains mots de Louis XVI à son père le marquis de Conflans? Ce courtisan avait été un des premiers à faire courir, ce qui n'était pas pour plaire au roi. ?Homme, disait Esterhazy, qui faisait parade de plus de vices qu'il n'en avait, immoral par principe et se plaisant à braver tout ce qu'il appelait préjugés, mais obligeant, menteur sans être faux, ivrogne sans aimer le vin, et libertin sans tempérament,? le marquis de Conflans n'était pas dépourvu d'ambition. ?Il faut convenir que le Cordon bleu te serait nécessaire, lui lan?a Louis XVI, car tu ressembles à un serrurier.?

Berger qui nous intéresse

Vaut bien mieux qu'un forgeron!

fit riposter la marquise par un de ses poètes [6]. Elle en avait toute une cour qui étaient par-dessus le marché ses patitos. Philippe de Ségur lui rimait ses madrigaux et l'abbé d'Espagnac se disait son fou. Dans le monde de la Cour, on n'était pas en reste avec elle. On prétendait que le marquis, son père, compagnon de plaisir du prince de Galles, était son directeur de conscience galante. Il n'y a pas de fumée sans feu. Un ambassadeur russe à Londres les accuse tous deux d'avoir contribué à donner des m?urs dépravées à l'amant volage de Mme Fitzherbert [7].

?Le prince de Galles, lit-on dans la Correspondance Secrète, n'est ni moins aimable ni moins galant depuis qu'il est devenu régent d'Angleterre. Il n'a pas oublié qu'il a vu dans son ?le la marquise de Coigny. En prenant les rênes de l'empire britannique, il lui a envoyé comme marque de son souvenir, un très joli chapeau à la Régence.?

Survient la Révolution. La marquise de Coigny est une des premières à se prononcer pour les idées nouvelles. Un jour, pendant un discours de l'abbé Maury à la Constituante, une amie et elle sont dans une tribune. Leur attitude est si hostile, leurs papotages si bruyants que l'orateur s'arrête. ?Monsieur le Président, dit-il, faites taire ces deux sans-culottes.? En 1791 et en 1792, son opposition ne se relache pas. ?Vraiment, écrit-elle le 1er septembre 1791, cette Marie-Antoinette est trop insolente et trop vindicative pour ne pas prendre plaisir à la remettre à sa place.? Mais, pendant l'hiver de 1791-1792, le séjour de Paris se révèle à elle tout à coup comme dangereux, et elle part pour Londres, recommandant sa fille, qui n'a pas émigré, à Lauzun. ?Aimez-la, lui écrit-elle, aimez-moi, en attendant que nous puissions nous dire: aimons-nous.? En exil, elle conserve son empire. Même chez les Anglais, sa réputation d'esprit demeure parfaitement assise et quand elle rentre officiellement en France à la suite de l'amnistie du 24 avril 1802-elle y est cachée depuis un certain temps-on la retrouve vieillie, mais toujours pétillante dans ses propos et jeune dans ses enthousiasmes et ses indignations. Royaliste qui avait la haine des rois, elle éprouve pour Napoléon une vraie passion. Liée à M. de Perrey, ami de Fouché, ses lettres amusent l'ancien conventionnel. ?Comment va la langue?? lui demande Napoléon quand il la rencontre, car il a pour elle et ses saillies qui ne le touchent pas, une indulgence qu'il refuse à l'indépendance de Mme de Sta?l. C'est que, rentrée en France où elle retrouve un fils de 12 ans, avec une fille de 23, une fortune à rétablir, des séquestres à lever, la mordante marquise est bien trop intelligente pour faire de l'opposition. Ce n'est pas le chemin des graces. Mieux vaut faire sa cour. Chez Joséphine, qui est toujours le trait d'union entre les deux sociétés, elle rencontre Sébastiani.

Le général Sébastiani n'est pas à proprement parler un homme nouveau [8]. Né à La Porta en Corse, le 10 novembre 1772, élevé par l'abbé Ciavatti, plus tard vicaire général de Mgr Sébastiani, évêque d'Ajaccio, son oncle, il appartient à une de ces familles de la bourgeoisie que l'accès aux dignités du haut clergé rendait capables de faire leur chemin sous l'ancien régime. Pour lui, la Révolution a simplement précipité sa carrière. Sous-lieutenant le 27 ao?t 1789 à 17 ans, il s'emploie en Corse, pendant la Révolution, à lutter contre Paoli et contre les Anglais. Lacombe Saint-Michel et Salicetti le protègent. Puis, Joseph Casabianca l'emmène à l'armée des Alpes et en fait un adjudant général. A 23 ans, il est capitaine de dragons et conquiert à Arcole, sous les yeux de Bonaparte, le grade de chef d'escadron. Les belles Italiennes en sont toutes folles. ?Il a re?u de la nature, dit un de ses biographes, un physique des plus séduisants, une de ces physionomies, une de ces allures qui font insurrection dans les salons et dans les boudoirs?. Les maris seuls se montrent récalcitrants à tant de séductions et quand Bonaparte s'embarque pour l'égypte, une blessure re?ue en duel empêche Sébastiani de l'y accompagner. Par contre, il fait une seconde campagne en Italie et conquiert à Vérone, le 1er Floréal de l'an VII, le grade de colonel. A la veille du 18 Brumaire, il a toute la confiance de Bonaparte, qui le charge d'occuper, dans cette grande journée, le pont tournant des Tuileries avec cinq cents dragons à pied et de venir le prendre avec quatre cents cavaliers rue Chantereine pour aller balayer les bavards de Saint-Cloud. Quand en 1802, on veut traiter de la paix avec le sultan Sélim, c'est Sébastiani qui est envoyé à Constantinople et quelques mois plus tard, il s'embarque de nouveau à Toulon avec mission d'aller à Tunis et à Tripoli faire reconna?tre le pavillon de la République et de visiter les cheiks arabes et les chrétiens de Syrie. Le rapport de sa mission, bruyamment inséré au Moniteur le 30 juillet 1803, hate la rupture avec l'Angleterre. Rentré à Paris le 21 novembre, général de brigade à la suite de ses services, Sébastiani, inspecteur des c?tes de l'Océan, est un des premiers légionnaires choisis quand Napoléon crée la Légion d'honneur.

Blessé à Austerlitz, général de division le 21 décembre 1805, il rentre à Paris couvert de gloire. Mlle Fanny de Coigny, blonde, blanche, gracieuse dans son sourire, dans tous ses mouvements, dansant comme une sylphide, légère, suave, bonne autant que spirituelle, accueille gracieusement cet ami de sa mère. Elle a 26 ans. ?C'est, dit la duchesse d'Abrantès, une de ces personnes qui mettent l'esprit à l'aise dès qu'il faut en parler. L'éloge en vient d'abord sur les lèvres; il est naturel comme elle?. Sébastiani, ce soldat qui est général de division à 32 ans, compatriote de l'Empereur, bien vu dans les salons de l'Impératrice, ne résiste pas à tant de grace et de beauté. Il est d'une taille moyenne mais bien prise. ?Tous ses gestes, dit un portraitiste, sont arrondis et gracieux. Tous ses mouvements se proportionnent sans effort aux espaces qu'il occupe; il n'en est pas de si étroit où il ne paraisse à son aise. Il conserverait sa grace dans un sac et son agilité dans un étau. Sa figure ronde, fine, rose et blanche a quelque chose d'angélique et de chérubin. De longs cheveux noirs d'ébène, soyeux, luisants et bouclés avec art encadrent merveilleusement sa tête harmonieuse qui semble une conception raphaélesque?. Joséphine s'est faite la protectrice des amoureux. La marquise donne aisément son consentement et, le 2 mai 1806, le mariage est célébré. Sébastiani a re?u à cette occasion un don impérial de 40 000 francs.

Au lendemain du mariage, il est désigné pour remplacer à l'ambassade de Constantinople le général Brune. Il part avec sa femme, emmenant comme aide de camp son beau-frère Gustave de Coigny, à peine échappé des bancs du lycée. La marquise accompagne sa fille jusqu'à Strasbourg. ?Il est certain, écrit-elle le 15 ao?t 1806 à son amie lady Foster, que mon bonheur est au comble et serait sans mélange s'il n'était pas acheté au prix de cette cruelle séparation qui me para?t la mort placée au milieu de la vie.? Elle ne savait pas si bien dire.

_Le général Horace Sébastiani, ambassadeur de la République fran?aise à Constantinople. Peint par Gérard, gravé par Denon.

(Bibliothèque Nationale. Estampes.)

A Constantinople, Sébastiani lutte avec acharnement contre les tentatives des Anglais qui multiplient les nouvelles alarmantes et font ensuite bloquer le Bosphore par leur flotte. Rien n'est prêt. Pas de défenses, pas de canons sur les murailles. ?L'effroi des Turcs ne peut se peindre, écrivait Sébastiani à Talleyrand, il galvanise la ville.? Transformé d'ambassadeur en général, Sébastiani appelle tout le monde aux fortifications. En cinq jours, il installe, des Sept Tours au Sérail, 102 canons, 7 obusiers, 252 pièces, 175 pièces en face du canal, 108 sur la c?te d'Asie. Les plans des Anglais sont déjoués et, le 7 mars, la fortune semble si bien tourner contre eux qu'ils s'inquiètent et se hatent de mettre à la voile. ?Nous l'avons échappé belle? écrit un des officiers de l'amiral Duckworth. Sélim n'a pas assez de remerciements pour célébrer les services que lui a rendus Sébastiani. ?On arrêtait dans les rues les Fran?ais pour les combler de bénédictions et de témoignages d'affection?. L'écho de tant de louange n'est pas encore éteint que Fanny Sébastiani meurt le 5 mai 1807, d'une fièvre puerpérale, dans les bras de son frère Gustave et de son mari. Trois semaines avant, le 14 avril 1807 elle a donné le jour à une jolie fillette, Altarice-Rosalba-Fanny, la future marquise de Choiseul-Praslin, la mariée du 19 octobre 1824. ?Fille tendre, épouse incomparable, s?ur excellente, bonne, bienfaisante, douce envers tout le monde, elle avait gagné tous les c?urs?, dit une correspondance de Constantinople. A peine le convoi avait-il accompagné le corps par la grande rue de Péra jusqu'au lieu de l'inhumation au pied de l'autel dans l'église des Pères Capucins, le général Sébastiani dut se préoccuper de faire partir pour la France, l'enfant qui, désormais, lui était doublement chère. Sélim vient d'être assassiné. Les services des Fran?ais sont oubliés: demain, c'est l'inconnu, le massacre peut-être. Il était impossible de suivre la voie de la mer. On ne pouvait non plus traverser le territoire russe, la Russie étant, comme l'Angleterre, en guerre avec la France. Accompagnée d'une nourrice, la toute dévouée Desforges, dont la fille sera sa compagne d'enfance, escortée de quelques serviteurs, la petite Fanny n'arriva à Paris qu'après de longs et pénibles détours [9]. La marquise de Coigny, désespérée de la mort de sa fille, attendait avec impatience sa petite-fille. L'été, elle le passa à Plombières, en compagnie de Sarah Newton [10]. C'était en quelque sorte un pieux pèlerinage qu'elle faisait en ces lieux où partout elle retrouvait le souvenir de la jeune femme. Si, dans ses promenades, elle rencontrait une petite fille avec des yeux bleu-noir comme ceux du général, ?Ah! s'écriait-elle, si sa petite Fanny lui ressemble, nous regretterons encore davantage sa pauvre mère qui ne la reverra plus.? Retrouvait-elle un arbre sur lequel sa fille avait inscrit ses initiales, aussit?t elle écrivait à l'administrateur des domaines pour obtenir de lui ce précieux tronc qu'elle faisait scier et mettre sous verre. ?Elle écrit au général, notait un jour Sarah Newton dans son journal. Il n'y a pas moyen d'en avoir un mot; elle est tout entière dans l'encrier.? Brichanteau, jadis aide de camp de Sébastiani, lui apporte des vers sur la mort de Fanny. ?Ah! dit-elle, que vous savez bien le chemin de mon c?ur.-Le général, répliqua Brichanteau, va vous ramener sa fille.-Oh! il ne me rapporte qu'une tige et je lui avais donné une fleur.? Cependant, la fillette arrivée près d'elle, elle va, en souvenir de sa grande Fanny, s'attacher à la petite avec une adoration qui sera certainement des plus nuisibles à l'éducation de l'enfant.

Entre elle, l'oncle Gustave de Coigny, l'oncle Tiburce Sébastiani, l'arrière grand-père, le duc de Coigny, dont la Restauration fera un pair de France, un maréchal et un gouverneur des Invalides, il se crée une atmosphère de gateries, de passion, d'idolatrie. A Brécy, à Paris, chez l'arrière-grand'mère Conflans, à l'h?tel Sébastiani, où le second mariage du général n'amènera point d'enfants [11], Fanny compte tout autant de royaumes sur lesquels elle règne capricieusement. Toutes ces tendresses s'épanchent en petits billets aux adresses florianesques. ?Pour ma Fanny, près son agneau, sur son gazon,? aux suscriptions pleines d'adulations ?à la plus jolie et la mieux aimée.? Et que de choses mignardes et caressantes lui écrivent pêle-mêle, grand'mère, arrière-grand'mère, oncles, tante et même maratre. ?Il fait si beau, chère Fanny, que je t'aime mieux dans le jardin de papa que dans la chambre de maman. Ainsi, amuse-toi avant d?ner avec ton petit agneau au grand air et après va, comme l'a dit Mlle Mendelssohn, au bois te réjouir et te rafra?chir. Je t'aime et t'embrasse de toute mon ame.? Mlle Mendelssohn, la gouvernante, dont il est fait cette brève mention, gate l'enfant comme sa grand'mère. Cette jeune Israélite avait la main malheureuse. Après Fanny Sébastiani, elle élèvera d'autres jeunes filles et partout où elle passera, elle laissera après elle le germe fatal de vices qui ont parfois fait quelque bruit dans des enceintes de justice.

?Chère Fanny, dit une autre lettre de la marquise, comme je ne veux pas que tu m'aimes sans fruit, je t'envoie, chère, mes plus belles oranges, tant rouges que jaunes. Mange-les en pensant à ta chère petite maman qui t'adore, comme elle trouve que tu le mérites, et qui viendra demain soir coucher sous ton toit paternel pour te mener le lendemain à neuf heures et demie chez ta marraine. God bless you, my dearest! Dites mille tendresses à Mlle Mendelssohn et aux petites de Rovigo [12].?

Papiers verts, papiers bleus, papiers roses se succèdent. ?Chère petite Fanny, je veux te faire un arc-en-ciel de mes lettres. Aujourd'hui, en lieu et place de ma feuille de rose d'hier, c'est une feuille verte et la première de la saison que je vais mettre sous tes beaux yeux et alors ce sera justement comme si tu lisais dans mon c?ur tout plein de toi.? Et une autre fois: ?Ma chère petite. J'ai une lettre de papa et une de Gustave qui pense toujours à toi, et papa dit que quand il voit des petites filles, il les trouve laides parce qu'elles ne ressemblent pas à sa Fanny. Pour Gustave, il s'ennuie beaucoup de ne plus jouer avec toi et Lawoestine, qui est un peu moqueur, le voyant bailler souvent, lui a dit l'autre jour: ?Veux-tu, Gustave, pour t'amuser, jouer au loup avec moi et Lascours [13], comme avec Fanny et Mugna? Ils t'aiment tous à la folie, chère petite, mais aucun ne t'aime plus que maman qui t'adore et t'embrasse bien tendrement.?

Quels charmants billets que ceux de la marquise de Coigny à une fillette de cinq ans. C'était l'age de Fanny en 1812. ?Il faut remettre à mercredi, chère petite, lui écrit-elle le 27 avril, le plaisir de d?ner avec toi, chez ta maman Conflans, parce que nous n'arriverons que ce jour-là à deux heures. Nous avons si beau temps que je te regrette encore plus ici que je ne croyais, car vraiment le lieu est superbe et tu t'y promènerais et tu t'y porterais bien, j'en suis s?re. Adieu, chère, je t'aime tendrement en attendant que je t'embrasse de même.? Vient l'anniversaire de la mort de la mère. La marquise écrit de Brécy le lendemain. ?J'ai bien souffert hier, j'ai versé bien des larmes et ce qui les rendait plus douloureuses encore, c'est que tu n'étais plus là, comme les autres années, pour les essuyer de ta douce petite main, bonne chère petite. J'espère au moins que tu as bien prié de ton c?té pour ta petite maman ou plut?t avec elle, car c'est un ange que ta petite maman. Il le faut croire et l'aimer comme si tu la voyais, parce qu'elle te voit, elle, du haut du ciel où elle est, et qu'elle y regarde toujours sa chérie petite Fanny. Je t'embrasse de tout mon c?ur et si je n'avais pas l'ame si triste et la tête si malade, je t'écrirais plus longtemps et je te parlerais de toutes les bonnes gens de cet endroit que tu n'as pas encore oubliés, et qui t'adorent et ne t'oublieront jamais.? Et deux jours après: ?Ma chère petite Fanny. J'espère que quoique tu ne voies pas maman, tu penses à elle et que tu auras bien du plaisir à l'embrasser bien fort quand elle reviendra et ce sera quand elle se portera mieux et ne pleurera plus tant parce que ta petite maman est morte. Tu n'as pas oublié, n'est-ce pas, dimanche, de demander à mettre ta petite ceinture noire pour ta petite maman, car tu l'aimeras toujours bien, quoique tu ne puisses plus la voir. Pauvre chère petite maman qui est un ange dans le ciel, comme elle en était un sur la terre. Sois bien sage, douce, belle et bonne comme elle, ma jolie petite Fanny, et tout le monde qui aimait tant ta petite maman dira que tu lui ressembles, ce qui me fera plaisir et à ton papa aussi, et à nonnon Gustave, qui était le frère de ta petite maman, que tu as perdue parce qu'elle est morte. Je t'embrasse pour elle et pour toi, ma chère petite. Es-tu déjà installée à ton petit Brécy? Il fait bien vilain à celui-ci et le temps y semble pleurer, comme moi, ta petite maman. Je travaille à ta jolie petite chaise quand je ne souffre ou ne pleure pas trop, parce que mes larmes la gateraient en tombant dessus. Le bon M. Picard, M. le curé baisent tes jolies petites mains, sans gants même, disent-ils. Moi j'embrasse chère Mme de Rivet et Mademoiselle de tout mon c?ur.?

Maintenant elle est toute blanche sans poudre surannée, la grand'mère! Charmante encore, sous son grand air, ses couleurs à demi-effacées de pastel passé, si elle garde encore aux yeux, entre deux migraines, un peu du feu de ses anciennes flammes, c'est pour regarder tendrement sa Fanny. Pour elle, elle rappelle les derniers restes de son humeur enjouée. ?Si triste que je sois d'être loin de toi, écrit-elle l'année suivante, ma bien chère petite Fanny, il vaut pourtant mieux aujourd'hui que je t'écrive que je te parle, attendu que tu ne m'entendrais pas. A la suite d'une terrible migraine qui a duré deux jours, après celui de la mort de ta chère petite maman, il m'est survenu une extinction de voix,-demande à Mademoiselle ce que c'est, car il ne faut jamais te payer de mots que tu n'entendes pas,-probablement occasionnée par la chaleur du temps et surtout par la cruelle contraction et la douloureuse contrainte que j'ai souffertes au service de ta petite maman. Mais je ne suis pas bien à plaindre, de souffrir pour celle pour qui j'aurais voulu donner ma vie. N'est-ce pas, chère petite, qu'hier lorsque Mademoiselle t'a dit le matin que c'était le jour où Notre-Seigneur était monté au ciel, tu as pensé que ta petite maman avait fait de même en mourant. J'ai dans le c?ur que cette idée t'est venue dans la tête, mais je ne veux pas t'affliger plus longtemps de ma douleur, de peur d'altérer, avec ta douce humeur, ta bonne petite santé qui nous est si précieuse à tous et que je bénis tous les jours le ciel d'accorder à mes prières et aux bons et tendres soins de Mademoiselle. Elle a été bien inspirée de te faire prendre du quina et tu tiens bien de ton papa et de ton oncle le bon effet que tu en retires déjà. Tu n'en éprouverais pas un moins salutaire de respirer le bon air de ce lieu remarquablement sec et par cela seul plus salubre, et puis la vue est délicieuse en ce moment. Tous les arbres y sont en fleurs et les seigles en épis et les bois, par le beau soleil, commencent à s'y couvrir de feuilles ou semblent tout honteux de n'en pas avoir encore.? Puis elle rappelle à la fillette le bon curé, ?M. La Messe?, comme elle l'appelait, les poules, les lapins à qui elle aimait donner à manger, les asperges qu'elle voulait couper de sa main. ?Adieu, amour de ma vie, conclut-elle, porte-toi bien et aime-moi de même.?

Fanny a dix ans. C'est maintenant une grande personne à qui l'on offre pour sa fête des livres à tranches dorées. L'ancienne amoureuse de Lauzun est devenue dévote à sa manière. Quand elle voyage, elle lit son livre d'heures, rapporte Sarah Newton. Elle envoie à sa petite-fille Le Génie du Christianisme. ?Moi qui voudrais donner pour toi le plus pur de mon sang, je m'en sers pour tracer ces lignes et t'adresser ce livre que tu as désiré pour ton jour de naissance, jour pour moi d'inépuisable douceur et d'éternelle douleur. Lis quelquefois avec Mademoiselle, un chapitre de ce beau et bon livre et, en le lisant, élève ton ame à Dieu, ton c?ur à ta petite maman et demande au ciel de te la donner pour ange, puisqu'il t'en a privée pour guide et ne te l'a pas laissée pour modèle, hélas!... Je t'embrasse de toute ma tendresse et t'aime de toute celle dont je la pleure.?

Cependant, tandis que Fanny grandit, le général Sébastiani continue sa carrière. Depuis qu'il est de retour de Constantinople jusqu'aux jours de la campagne de France, il est partout où l'on se bat. C'est toujours le beau soldat plein de vanité corse et de brio méridional, le Cupidon, le Don Juan de l'armée impériale. Comme Murat, il aime les broderies, les panaches, les fourrures, les grands sabres tra?nant sur le pavé et battant les flancs. Chacune de ses apparitions à Paris, entre deux campagnes, est pour la fillette la rapide vision d'un beau causeur au sourire et au regard harmonieux et, chaque fois, il revient plus riche, plus généreux et comble de cadeaux sa petite Fanny. A quoi bon compter? Le roi Joseph ne lui a-t-il pas promis le titre de duc de Murcie et un riche apanage? Mais titre et apanage sont anéantis par les canons perdus aux victoires de Talaveyra et d'Almonacid. Napoléon ne permet pas qu'on lui perde des canons. Ainsi dépossédé dans ses espérances, Sébastiani est mécontent, et lors de l'abdication de Fontainebleau, il n'est pas faché de se reposer de ses chevauchées à travers l'Europe, et de rentrer dans la vie civile. La Restauration le fait chevalier de Saint-Louis, le 2 juin 1814. Mais aussit?t, il se sent en disgrace, si bien qu'au retour de l'?le d'Elbe, il est un des premiers à prendre position. Le 20 mars, il se rend à l'h?tel des Postes et y installe Lavalette. C'est lui qui met Benjamin Constant en rapport avec Napoléon. Après Waterloo, il est commissaire de la Chambre des Députés pour traiter de la paix. Son attitude aux Cent-Jours pèse sur lui et jusqu'en 1819, il se retire en Angleterre. Alors, Decazes le recommande aux électeurs de la Corse, comme ?possédant toute sa pensée.? L'année suivante, il est accusé par Buiema et le baron de Saint-Clair d'avoir été un des instigateurs du complot de Louvel [14]. Il porte ainsi le poids des recommandations de Decazes. Il a des succès de tribune qui contrebalancent presque ceux du général Foy. Telle est la situation de Sébastiani, au moment où sa fille épouse le marquis de Praslin.

Caricature de Grandville et Forest. (La Caricature, 1830.)

Le jeune ménage s'est installé dans l'h?tel du général, 55, faubourg Saint-Honoré. C'est là que Sébastiani tient chaque matin un petit lever presque royal où se rendent tous ses compatriotes qui ont besoin de sa protection [15]. Chez lui fréquentent les sommités du parti libéral, tout ce qui, quelques années plus tard, constituera l'état-major de la monarchie de juillet. La vieille marquise est aussi du même monde, bien qu'elle y conserve l'indépendance de ses saillies. ?Que dis-tu, écrit-elle à sa petite-fille, du mariage de M. de Chabannes avec la nièce de Mme Feuchères, apportant en dot 6 millions et le chateau de Saint-Leu. Conviens qu'il est richement peu délicat et encore moins que le mariage Fouché, malgré le père coupable. Au reste, ces deux unions paraissent scellées du sang royal, sans être plus pures pour cela [16].? La marquise n'est pas au courant des négociations que son ami Talleyrand mène, pour, au prix de cette alliance, et du testament que la baronne veut dicter au duc de Bourbon, acheter le concours du duc d'Orléans [17]. Les journées de juillet vont faire de Sébastiani une des grandes utilités de la Monarchie nouvelle. Il sera ministre, le 11 ao?t 1830, et c'est alors qu'il prononcera à la tribune le mot qui réconcilie le gouvernement de Louis-Philippe avec celui du Tsar: ?L'ordre règne dans Varsovie.? A partir de cette heure, soit par ses services antérieurs, soit par ses services de l'heure présente [18], si bafoué qu'il soit par les caricaturistes, si maltraité qu'il soit par l'opposition, il devient l'homme indispensable aux yeux de Louis-Philippe. N'est-il pas celui qui a arraché la reconnaissance de la branche cadette au tsar Nicolas [19]? Il est m?r pour les ambassades, pour le maréchalat, pour la pairie et il entra?ne dans son sillage son gendre. Les Choiseul-Praslin, ballotés depuis quarante ans entre la monarchie légitime, la république et l'empire, ne sont-ils pas de vrais déracinés? Ce n'est pas la marquise de Coigny qui trouvera mauvais le ralliement de son petit-fils à un prince qu'elle aime. Elle est toute acquise à l'ordre de choses nouveau. Dès l'établissement de ?la meilleure des républiques?, La Fayette ne lui a-t-il pas adressé ce curieux billet: ?Comment se peut-il, chère Madame, qu'après avoir re?u une si aimable et si bonne lettre je n'ai pas encore eu la satisfaction de vous en remercier? Vos amis du Palais-Royal n'ont pas mérité ce reproche ou plut?t ce regret, et c'est ce qui augmente, s'il est possible, l'apparence de mes torts. J'ai néanmoins été profondément touché des nouveaux témoignages de votre amitié et de votre manière, qui est toute à vous, d'exprimer votre approbation. Vous souvenez-vous d'une chanson de nos anciens qui disait:

?Mardi, mercredi, jeudi,

?Sont trois jours de la semaine.

?Il était question d'une défaite de je ne sais plus quel général de Louis XV. Nos trois jours ont suffi pour la victoire du peuple. Celui de 89 s'était déjà bien montré, mais quelle supériorité nous avons trouvée dans la Révolution de 1830. Quelques personnes ont l'air de croire que parce qu'on s'est abstenu de lanternes et de proscriptions, il n'y a pas eu de révolution. C'est une grande erreur et notre dernière révolution pousse de profondes racines. Elle sera féconde parce qu'elle a été pure et généreuse. Il y a bien eu, depuis, quelques légères agitations d'ouvriers, suites assez naturelles d'un orage et de mauvais conseillers déguisés, comme autrefois, en patriotes, pour simuler des troubles et introduire un peu de licence. Quelque chose de plus sérieux s'est manifesté à N?mes en mémoire de Trestalion et autres acteurs de 1815. Mais tout cela n'a rien de vraiment inquiétant. J'espère que vous nous reviendrez bient?t pour trouver à Paris le peuple vainqueur, une Cour citoyenne, un roi républicain, le vieux drapeau tricolore et votre plus ancien ami qui vous renouvelle toutes ses tendresses vieilles d'age et jeunes de c?ur [20].?

Deux ans après, le 13 septembre 1832, la marquise de Coigny expirait rue Ville-l'évêque où elle s'était logée pour se rapprocher de son gendre et de son fils. Fanny et le marquis de Praslin lui fermèrent les yeux.

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