Les morts commandent by Vicente Blasco Ibá?ez
Jaime Febrer se leva à neuf heures du matin. Mado Antonia[A], qui l'avait vu na?tre, servante pleine de respect pour son illustre famille, se contentait d'aller et de venir depuis une heure dans la chambre, pour tacher de l'éveiller. Jugeant insuffisante la lumière qui pénétrait par l'imposte d'une large fenêtre, elle ouvrit les vantaux de bois vermoulu où les vitres manquaient.
Puis elle tira les rideaux de damas rouge, galonné d'or, qui, en forme de tente, enveloppaient le vaste lit, antique et majestueux, où avaient vu le jour, s'étaient reproduites et éteintes, plusieurs générations de Febrer.
[A] Mado en dialecte majorquin est une abréviation de Madona, et s'emploie parmi les gens du peuple, comme en fran?ais le mot ?mère?.
La veille, en rentrant du cercle, Jaime avait instamment recommandé à Mado Antonia de le réveiller de bonne heure, car il était invité à déjeuner à Valldemosa. Allons, debout!
C'était une splendide matinée de printemps. Dans le jardin, les oiseaux pépiaient en ch?ur, sur les branches fleuries, balancées par brise, qui venait de la mer voisine, par-dessus le mur.
La domestique, voyant que monsieur s'était enfin décidé à quitter le lit, se dirigea vers la cuisine. Jaime Febrer se mit à circuler dans la pièce, devant la fenêtre ouverte, que partageait en deux parties une mince colonnette.
Il s'était endormi tard, inquiet et nerveux, en songeant à l'importance de la démarche qu'il allait entreprendre le lendemain matin. Pour secouer la torpeur que laisse un sommeil trop court, il rechercha avidement la réconfortante caresse de l'eau froide. En se lavant dans sa pauvre petite cuvette d'étudiant, Febrer jeta sur elle un regard plein de tristesse. Quelle misère! Il manquait des commodités les plus rudimentaires, dans cette demeure seigneuriale. La pauvreté se manifestait à chaque pas dans ces salons, dont l'aspect rappelait à Jaime les splendides décors qu'il avait vus dans certains théatres, au cours de ses voyages à travers l'Europe.
Comme s'il était un étranger, entrant pour la première fois dans sa chambre à coucher, Febrer admira cette pièce monumentale au plafond élevé. Ses puissants a?eux avaient construit pour des géants. Chacune des salles était aussi vaste qu'une maison moderne. Toutes les baies de l'édifice manquaient de vitres, et l'on était contraint, cet hiver, de tenir tous les vantaux fermés, ce qui ne permettait à la lumière de pénétrer que par les impostes, dont les carreaux fendus étaient obscurcis par le temps. L'absence de tapis laissait à découvert le carrelage en pierre siliceuse et tendre de Majorque, découpée en fins rectangles, comme des lames de parquet.
Les plafonds laissaient encore apercevoir l'antique splendeur des caissons, les uns de bois sombre, ingénieusement assemblés, les autres de vieil or mat, où se détachaient les armoiries de la famille. Les murs, très hauts, simplement blanchis à la chaux, disparaissaient dans certaines pièces, sous des files de tableaux anciens, ou sous les plis de somptueuses tentures aux vives couleurs, que le temps ne pouvait effacer.
La chambre à coucher de Jaime était ornée de huit grandes tapisseries, représentant des jardins, de longues allées bordées d'arbres au feuillage automnal, aboutissant à des ronds-points, où gambadaient des biches, où l'eau tombait goutte à goutte dans de triples vasques. Au-dessus des portes étaient accrochés de vieux tableaux italiens d'une mièvrerie fade, où des enfants aux chairs ambrées, jouaient avec des agneaux.
L'arcade qui séparait l'alc?ve de la chambre avait grand air, avec ses colonnes cannelées, soutenant un plein cintre de feuillage sculpté, d'un or pale et discret, comme les ornements d'un autel. Sur une table du XVIIIe siècle, on voyait une statuette polychrome de saint Georges à cheval, piétinant les Maures. Plus loin, le lit, vénérable monument de famille. Quelques fauteuils anciens aux bras incurvés, dont le velours rouge, éraillé et pelé, laissait voir la blancheur de la trame, voisinaient avec des chaises de paille et un lavabo de pauvre. ?Ah! la misère!? pensa derechef l'héritier des Febrer, possesseur du majorat. La demeure ancestrale, avec ses belles fenêtres sans vitres, ses salons, tendus de haute lice et dépourvus de tapis, ses précieuses antiquités mêlées aux meubles les plus misérables, lui faisait l'effet d'un prince ruiné, se parant encore d'un manteau somptueux et d'une couronne glorieuse, mais n'ayant plus ni linge ni chaussures.
Lui-même n'était-il pas semblable à ce palais, enveloppe imposante et vide, sous laquelle brillaient jadis la gloire et la richesse de ses a?eux? Les Febrer, marchands ou soldats, avaient tous été navigateurs. Leurs armes avaient ondulé sous la brise, brodées sur les flammes ou les pavillons de plus de cinquante voiliers, les plus rapides de la marine Majorquine, qui allaient vendre l'huile des Baléares à Alexandrie, embarquaient des épices, des soies et des parfums d'Orient aux Echelles du Levant, trafiquaient avec Venise, Pise et Gênes, ou, franchissant les Colonnes d'Hercule, s'enfon?aient dans les brumeuses mers du Nord, pour porter dans les Flandres et les Républiques hanséatiques, les fa?ences des Morisques valenciens, nommées Ma?oliques par les étrangers, parce qu'elles provenaient de Majorque. Ces perpétuelles randonnées à travers des mers infestées de pirates, avaient fait de cette famille de riches marchands, une tribu de vaillants soldats.
Les Febrer avaient parfois livré bataille aux corsaires turcs, grecs et algériens, ou, contractant avec eux des alliances, avaient escorté leurs flottes jusque dans les mers du Nord, pour affronter les pirates anglais. Une fois même, ils avaient attaqué, à l'entrée du Bosphore, les galères génoises qui monopolisaient le commerce de Byzance.
Plus tard, cette dynastie de marins batailleurs, renon?ant à la navigation commerciale, avait donné son sang pour défendre des royaumes chrétiens, et fait entrer quelques-uns de ses fils dans la sainte milice des Chevaliers de Malte.
Du jour où ils recevaient l'eau du baptême, les cadets portaient, cousue à leurs langes, la croix blanche à huit pointes, qui symbolise les huit Béatitudes. Quand ils avaient l'age d'homme, ils commandaient les galères de cet ordre belliqueux et finissaient leurs jours dans de riches Commanderies, où ils contaient leurs prouesses à leurs petits-neveux et faisaient soigner leurs infirmités et panser leurs blessures par des esclaves musulmanes avec lesquelles ils vivaient, en dépit de leur v?u de chasteté. Des monarques fameux, passant par Majorque, avaient quitté l'Alcazar d'Almudaina, pour visiter les Febrer dans leur palais. Quelques-uns avaient été amiraux des flottes royales, d'autres gouverneurs de possessions lointaines; certains d'entre eux dormaient leur éternel sommeil sous les dalles de la cathédrale de La Valette, près d'autres Majorquins illustres, et Jaime avait pu contempler leurs tombes, quand il avait visité Malte.
La Bourse de Palma, élégant édifice gothique, proche de la mer, avait été, durant plusieurs siècles, un fief de ses a?eux. Toutes les marchandises déchargées sur le m?le voisin étaient pour les Febrer; et, dans l'immense salle hypostyle de la Bourse, près des colonnes torses qui se perdaient dans la pénombre des vo?tes, les ancêtres de Jaime recevaient avec un faste royal, les navigateurs d'Orient, vêtus de l'ample culotte plissée, les patrons génois et proven?aux au petit manteau surmonté d'un capuce, et les vaillants capitaines de l'?le, portant le rouge bonnet catalan. Les marchands vénitiens envoyaient des meubles d'ébène, ornés de menues incrustations d'ivoire et de lapis-lazuli, ou, dans leur cadre de cristal, de grandes glaces aux reflets azurés. Les navigateurs, qui revenaient d'Afrique, apportaient des poignées de plumes d'autruche, des défenses d'éléphant, et ces trésors, avec beaucoup d'autres, allaient enrichir les salles du palais, parfumées de mystérieuses essences, présents des correspondants asiatiques.
Durant des siècles, les Febrer avaient été les intermédiaires entre l'Orient et l'Occident, et avaient fait de Majorque un dép?t de produits exotiques, que leurs vaisseaux allaient ensuite porter ?à et là en Espagne, en France, en Hollande. Les richesses affluaient chez eux avec une abondance fabuleuse. Il leur arriva même de prêter à des rois. Et pourtant, Jaime, le dernier de leur race, la nuit précédente, après avoir perdu au cercle les cent dernières pesetas qu'il possédait, n'en avait pas moins été forcé, pour aller le lendemain à Valldemosa, d'emprunter de l'argent à Toni Clapès, le contrebandier, un homme grossier, mais d'une vive intelligence, au demeurant, le plus fidèle et le plus désintéressé de ses amis.
En se peignant, Jaime se regarda dans une glace ancienne, rayée et trouble. A trente-six ans, il était assez bien conservé. Il était laid, mais d'une laideur superbe, suivant le mot d'une femme, qui avait exercé sur sa vie une certaine influence. Ce genre de laideur lui avait même valu quelques succès. Miss Mary Gordon, une blonde anglaise, sentimentale, fille du gouverneur d'un archipel océanien, avait rencontré Jaime dans un h?tel de Munich. Frappée par sa ressemblance avec Wagner, dont il était le vivant portrait, assurait-elle, miss Mary avait fait elle-même les premiers pas. Charmé de ce souvenir, Febrer souriait en contemplant dans la glace son front bombé, dont le poids semblait écraser ses yeux, impérieux et moqueurs, ombragés d'épais sourcils. Son nez, aquilin et mince, était celui de tous les Febrer, ces oiseaux de proie des solitudes marines. Sa bouche se crispait, dédaigneuse sous une fine moustache; son menton saillant était couvert d'une barbe clairsemée et soyeuse.
Délicieuse miss Mary! Leurs joyeuses pérégrinations à travers l'Europe avaient duré près d'un an. Jaime se les rappelait encore avec une émotion voilée de regret, mais c'était un passé déjà lointain. A quoi bon le faire revivre dans son imagination d'homme blasé et las? Ah! les femmes! s'écria-t-il dédaigneusement, en redressant son corps robuste, au dos un peu vo?té, tant sa taille était haute. Les femmes! depuis bien longtemps, elles avaient cessé de l'intéresser. Et puis, il se sentait vieillir, en dépit des apparences. Quelques fils d'argent dans sa barbe, et des rides légères aux coins des yeux révélaient la fatigue d'une vie ?menée à toute vapeur?, suivant sa propre expression.
Cependant, tel qu'il était, il plaisait encore, et c'était l'amour qui allait le sauver.
Sa toilette terminée, Jaime quitta sa chambre à coucher et traversa un vaste salon, vivement éclairé par le rayon du soleil qui pénétrait par l'imposte des fenêtres aux volets clos. Le plancher restait encore dans la pénombre, tandis que les murs, couverts d'immenses tapisseries, brillaient comme des jardins aux vives couleurs, où se déroulaient des scènes mythologiques et bibliques.
Febrer, en passant devant ces richesses, héritées des ancêtres, leur jeta un ironique regard. Aujourd'hui, plus rien de tout cela ne lui appartenait. Il y avait déjà plus d'un an que toutes les tapisseries étaient devenues la propriété de certains usuriers de Palma, qui toutefois avaient consenti à les laisser pour quelque temps encore, accrochées à leur place. Elles y attendaient la venue de quelque riche amateur, qui les paierait plus largement en croyant les acheter à leur propriétaire. Jaime n'en était plus que le dépositaire, menacé de la prison, s'il s'en montrait infidèle gardien.
En arrivant au milieu du salon, il se détourna quelque peu par habitude; mais il se mit à rire, en voyant que rien ne lui barrait le chemin. Un mois auparavant, il y avait encore là une table italienne, faite de divers marbres précieux, rapportée d'une de ses expéditions de corsaire par le fameux Commandeur don Priamo Febrer.
Poursuivant son chemin, il ne rencontra que le vide, là où il voyait d'ordinaire un énorme brasero d'argent repoussé. Hélas! il l'avait vendu au poids du métal. L'absence de cet objet précieux le fit souvenir d'une cha?ne d'or, présent de Charles-Quint à l'un de ses ancêtres, cha?ne qu'il avait également vendue à Madrid, quelques années auparavant, au poids du métal, avec un supplément de deux onces d'or, pour la beauté du travail. Jaime avait appris que cette cha?ne avait été revendue cent mille francs à Paris...
En se livrant à ces pénibles pensées, il se dirigea vers la vaste cuisine où se préparaient jadis les banquets célèbres, donnés par les Febrer aux parasites dont ils étaient entourés. Mado Antonia paraissait plus petite encore, dans cette immense pièce au plafond élevé. Elle était assise auprès de la grande cheminée dont l'atre pouvait contenir des troncs d'arbre. La glaciale propreté de cette pièce prouvait qu'elle n'était plus utilisée. Aux murs, de nombreux crochets vides dénon?aient l'absence des brillants ustensiles de cuivre, qui avaient orné cette cuisine, digne d'un couvent. Maintenant, la vieille servante préparait ses rago?ts sur un tout petit fourneau, placé à c?té du pétrin.
D'une voix forte, Jaime appela Mado Antonia, et pénétra dans la petite salle à manger où les derniers des Febrer prenaient leurs repas. Mais là aussi, la misère avait laissé sa trace. La longue table était recouverte d'une toile cirée toute fendillée; les dressoirs étaient presque vides; les anciennes fa?ences, à mesure qu'elles étaient cassées, avaient été remplacées par des assiettes et des pots de fabrication grossière.
Au fond, deux fenêtres ouvertes encadraient deux rectangles de mer d'un bleu intense et mobile, palpitant sous les feux du soleil. Près de ces fenêtres, quelques palmiers balan?aient mollement leurs éventails. A l'horizon se détachaient les ailes blanches d'une goélette se dirigeant vers Palma, avec la lenteur d'une mouette fatiguée.
En entrant, Mado Antonia posa sur la table une grande tasse de café au lait, avec une tartine de pain beurrée. Jaime se mit à déjeuner de grand appétit, cependant il fit la grimace en go?tant son pain:
-Il est bien dur, n'est-ce pas? dit la servante en majorquin; il ne vaut pas les petits pains que monsieur mange au cercle; mais ce n'est pas ma faute. Je voulais pétrir la pate hier, mais je n'avais plus de farine, et j'attendais le fermier de Son Febrer qui devait apporter sa redevance... Ah! les gens sont bien ingrats et bien oublieux!
Et la vieille servante exprima longuement son mépris pour le fermier de Son Febrer, la dernière terre qui restat à Jaime.
A cette évocation, celui-ci songeait que ce domaine ne lui appartenait plus, bien qu'il en f?t officiellement le propriétaire. Cette terre, la plus fertile, la plus riche de son héritage, qui portait le nom de sa famille, il l'avait hypothéquée, et il allait la perdre d'un moment à l'autre. Le modique revenu qu'il en tirait, conformément aux usages du pays, lui servait uniquement à payer les intérêts des divers emprunts qu'il avait contractés, mais en partie seulement, et comme ses dettes ne faisaient que s'accro?tre, il ne lui restait plus que les redevances en nature. A No?l et à Paques, il recevait une couple d'agneaux avec une douzaine de volailles; en automne, deux porcs bien engraissés, des ?ufs et une certaine quantité de farine, sans compter les fruits de saison. De ces produits Mado Antonia faisait deux parts: l'une pour la consommer, l'autre pour la vendre. C'était ainsi que Jaime et sa servante vivaient dans la solitude du palais, à l'abri de la curiosité publique, comme deux naufragés dans un ?lot.
Mais depuis quelque temps, les redevances se faisaient de plus en plus attendre. Le fermier, avec cet égo?sme de paysan, qui lui fait abandonner les malheureux, ne s'empressait guère de tenir ses engagements. Il savait que l'héritier du majorat n'était plus le véritable propriétaire de Son Febrer, et maintes fois, en entrant dans la ville avec ses provisions, il se détournait pour les déposer chez les créanciers de Jaime, redoutables personnages qu'il tenait à ménager.
Le dernier des Febrer regarda tristement sa servante, qui demeurait debout devant lui. C'était une paysanne qui avait toujours conservé le costume de son village: casaquin foncé, garni aux manches d'une double rangée de boutons, jupe claire à ramages, guimpe blanche sous laquelle pendait une grosse tresse postiche, très noire, serrée à son extrémité par un long n?ud de ruban de velours.
-Quelle misère, Mado Antonia! dit Jaime en parlant majorquin, lui aussi. Tout le monde fuit les pauvres, et, un de ces jours, si ce coquin ne nous apporte pas ce qu'il nous doit, nous en serons réduits à nous manger, comme des naufragés.
La vieille sourit... Monsieur était toujours gai. A cet égard, il était bien le vivant portrait de son grand-père, don Horacio, qui, malgré sa physionomie grave, disait des choses si dr?les!...
-Il faut que cela finisse, poursuivit Jaime, et cela finira aujourd'hui même. Sache-le, avant que la nouvelle coure les rues: je me marie!
La servante joignit les mains pour exprimer son étonnement; puis, levant les yeux au plafond:
-Sang du Christ! il était temps... il y a beaux jours que Monsieur aurait d? y penser. La maison serait dans un autre état.
Et, sa curiosité de campagnarde s'éveillant, elle questionna:
-Est-elle riche?
Le signe d'assentiment de son ma?tre ne la surprit point. Seule, une femme apportant en dot une grosse fortune, pouvait prétendre épouser un Febrer.
-Elle est jeune, sans doute? affirma la vieille, pour obtenir de plus amples renseignements.
-Oui, jeune, beaucoup plus jeune que moi, trop jeune. Vingt-deux ans environ. Je pourrais presque être son père.
Mado fit un geste de protestation. Don Jaime était le plus bel homme de l'?le; elle le proclamait bien haut, elle qui l'admirait, depuis que, tout enfant, elle le menait par la main en promenade, au bois de pins voisin du chateau de Bellver.
-Et elle est de bonne maison? demanda-t-elle encore, pour vaincre le laconisme de son ma?tre.
Jaime demeura quelques instants perplexe; il palit un peu, puis il dit, d'un ton énergique et rude, destiné à cacher son trouble:
-C'est une chueta!
De nouveau, Antonia joignit ses mains en invoquant le sang du Christ, si vénéré à Palma; mais tout à coup, les rides de son visage brun se détendirent, et, la réflexion venant, elle se mit à rire.
-Que monsieur était dr?le! Comme son grand-père, il disait les choses les plus stupéfiantes, les plus incroyables, avec une gravité qui trompait les gens. Et elle, la pauvre sotte, elle avait pris cette farce au sérieux...
-Mado, c'est bien vrai, je me marie avec une Chueta... la fille de don Benito Valls: C'est pour cela que je vais aujourd'hui à Valldemosa...
La voix éteinte de Jaime, son accent timide dissipèrent tous les doutes de la servante. Elle resta bouche béante, les bras tombant, sans trouver la force de lever les mains et les yeux... une juive...
-Mon Dieu! mon Dieu! mon Dieu!
Il lui était impossible de dire autre chose. Elle croyait avoir rêvé que le tonnerre avait ébranlé la vieille maison, qu'un gros nuage venait de cacher le soleil, que la mer se plombait et qu'elle allait lancer ses vagues houleuses contre la muraille. Puis elle vit que rien n'était changé, et qu'elle avait été troublée par cette étonnante nouvelle.
-Mon Dieu!... mon Dieu!... mon Dieu!
Et, saisissant la tasse vide et le reste du pain, elle se mit à courir, pour se réfugier au plus vite dans la cuisine. Arrivée là, elle eut peur. Quelqu'un devait marcher là-haut, dans les salons vénérables, quelqu'un dont elle ne pouvait s'expliquer la nature, mais qui se réveillait après un sommeil séculaire. Ce vieux palais avait assurément une ame. D'habitude, elle entendait les meubles craquer, les tapisseries s'agiter et bruire, la harpe dorée de l'a?eule de don Jaime vibrer, et elle n'en éprouvait nulle crainte, car elle savait que les Febrer avaient toujours été d'honnêtes gens, simples et bons pour les humbles... Mais maintenant, après une pareille déclaration!... Elle songeait avec inquiétude aux portraits qui ornaient la salle de réception. Quelle expression devaient avoir les visages des ancêtres, s'ils avaient entendu les paroles que venait de prononcer leur descendant!
Mado Antonia finit par se rasséréner, en buvant le reste du café préparé pour son ma?tre. Elle n'avait plus peur, mais elle ressentait une tristesse profonde, en songeant à la destinée de don Jaime, comme si elle l'e?t vu en danger de mort.
Un peu de mépris vint dominer momentanément sa vieille tendresse. Quelle honte éprouverait la tante de Jaime, qui était la dame la plus noble et la plus pieuse de l'?le, celle que beaucoup nommaient la Papesse, par ironie ou par respect.
-Au revoir, Mado! Je serai de retour à la tombée de la nuit.
La vieille se voyant seule, leva les bras vers le ciel pour invoquer le sang du Christ, la Vierge de Lhuch, patronne de l'?le, et enfin le grand saint Vincent Ferrer, qui avait fait tant de miracles, lorsqu'il était venu prêcher à Majorque. Qu'il en f?t un de plus, pour empêcher de se réaliser le monstrueux projet de don Jaime! Qu'un énorme quartier de roche se détachat de la montagne, pour couper la route de Valldemosa! Que la voiture versat, et que l'on rapportat don Jaime sur un brancard!... Tout plut?t que cette honte!
Febrer, ayant traversé l'antichambre, commen?a de descendre les marches de l'escalier. Comme tous les nobles de l'?le, ses pères avaient élevé des constructions grandioses. Le vestibule occupait un tiers du rez-de-chaussée. Une sorte de loggia à l'italienne, formée de cinq arcades, soutenue par de fines colonnettes, s'étendait en haut de l'escalier et donnait accès, par deux portes, aux deux ailes de l'édifice, plus élevées que le corps principal du logis. Au centre de la balustrade, en face de la porte-cochère, se trouvait l'écusson en pierre des Febrer, avec une lanterne en fer forgé.
En descendant, Jaime heurtait sa canne contre les marches de pierre, ou en frappait les hautes amphores vernissées qui ornaient les paliers, amphores qui, sous le choc, rendaient un son de cloche. La rampe de fer, oxydée par les ans, s'effritait en écailles rouillées, et tremblait au bruit des pas, comme si elle allait se desceller.
Arrivé à la cour d'honneur, Febrer s'arrêta. En songeant à la grave résolution qu'il avait prise, il jeta un long regard sur ce vieux palais que, d'ordinaire, il considérait avec indifférence. La cour, vaste comme une place publique, pouvait recevoir plus de douze carrosses et tout un escadron de cavaliers. Douze colonnes massives, en marbre veiné de l'?le, soutenaient les arcades de pierre simplement taillée, sur lesquelles reposait un plafond aux poutres noircies par le temps. Le pavé était formé d'un cailloutage, verdi de mousse. Une fra?cheur de ruines régnait dans cette cour immense et déserte. Un chat la traversa, sortant des anciennes écuries par la chatière d'une porte vermoulue, et disparut bient?t par l'orifice des souterrains abandonnés, où l'on conservait autrefois les récoltes.
La rue était solitaire. A son extrémité, bordée par le mur du jardin des Febrer, on apercevait les remparts, percés d'une grande porte, armée au cintre d'une herse de bois, dont les dents semblaient être d'un poisson gigantesque. A travers cette ouverture, les eaux de la baie, vertes et lumineuses, tremblaient de reflets d'or.
Jaime fit quelques pas sur le pavé bleuatre de la rue, dépourvue de trottoirs, puis s'arrêta encore, pour contempler sa demeure. Ce n'était plus qu'un faible reste du passé. L'antique palais des Febrer avait occupé un vaste espace, mais avec le temps et la gêne de la famille, il avait peu à peu diminué d'étendue. Une partie de ce palais était devenue un couvent de religieuses, tandis que d'autres avaient été acquises par de riches Majorquins, qui, en surchargeant l'édifice de balcons modernes, en avaient détruit l'unité primitive, visible encore dans la ligne des auvents et des toits. Quant aux Febrer, ils avaient d?, pour accro?tre leurs revenus, se réfugier dans la partie du palais donnant sur les jardins et sur la mer, tandis qu'ils louaient les rez-de-chaussée à des boutiquiers et à de petits industriels. Tout à c?té de la grande porte seigneuriale, une vitrine laissait voir des jeunes filles qui repassaient du linge. Elles saluèrent don Jaime d'un sourire respectueux. Celui-ci demeurait immobile, et continuait à contempler la demeure de ses ancêtres.
Elle avait grand air, toute mutilée et vieille qu'elle était! La pierre du soubassement, effritée et creusée par le fr?lement des piétons et le heurt des voitures, était coupée à ras du sol par de nombreux soupiraux grillés. A partir de l'entresol, loué à un droguiste, la majesté de la fa?ade commen?ait à se déployer. Au niveau de l'arcade, dominant la porte-cochère, trois fenêtres, divisées par des colonnes géminées, montraient leurs encadrements de marbre noir, finement travaillé. Des chardons de pierre montaient le long des colonnes qui soutenaient les corniches, surmontées de trois grands médaillons. Dans celui du centre, était sculpté le buste de l'empereur, avec cette inscription: Dominus Carolus Imperator 1541, rappelant le passage de Charles-Quint à Majorque, lors de la malheureuse expédition d'Alger. Ceux des c?tés figuraient les armes de Febrer, soutenues par des poissons à têtes d'hommes barbus. Au premier étage, ornant les montants et les corniches des larges fenêtres, des rinceaux, formés d'ancres et de dauphins, rappelaient les gloires de cette lignée de navigateurs. A chaque extrémité s'ouvrait une énorme conque. Dans la partie la plus haute de la fa?ade, s'alignait une file compacte de fénestrelles gothiques: les unes murées, d'autres ouvertes, pour donner de l'air et de la lumière aux mansardes; enfin couronnant le tout, l'auvent monumental, l'auvent grandiose, comme on n'en voit qu'à Majorque, projetait jusqu'au milieu de la rue son magnifique assemblage de chevrons sculptés, noircis par le temps et soutenus par de massives gargouilles.
Jaime parut satisfait de son examen. Le palais de ses ancêtres était beau encore, malgré les fenêtres sans vitres, malgré la poussière et les toiles d'araignées amoncelées dans les brèches des murailles. Après son mariage, lorsque la fortune du vieux Valls aurait passé dans ses mains, tous s'émerveilleraient de voir la splendide résurrection des Febrer. Et il y avait des gens qui se scandalisaient de sa résolution! Et lui-même avait des scrupules!... Allons, courage! En avant!
Il se dirigea vers le Borne, large avenue au centre de Palma, autrefois lit d'un torrent qui partageait la cité en deux villes ennemies: Can Amunt et Can Avall. Il y trouverait une voiture pour le conduire à Valldemosa.
Au moment où il s'engageait dans l'avenue, son attention fut attirée par un groupe de promeneurs qui, à l'ombre d'arbres touffus, regardaient trois campagnards en arrêt devant l'étalage d'une boutique. Febrer reconnut leurs costumes, très différents de ceux des paysans marjorquins. C'étaient des gens d'Ivi?a. Le nom de cette ?le évoquait en lui le souvenir, déjà lointain, d'une année passée là-bas, pendant son adolescence. En apercevant ces gens dont la vue amusait les Majorquins, Jaime se mit à sourire et à considérer avec intérêt leur accoutrement et leur physionomie.
Sans aucun doute, c'était un père avec son fils et sa fille. Le père était chaussé d'espadrilles blanches sur lesquelles tombait un ample pantalon de panne bleue. Sa veste était retenue sur la poitrine par une agrafe et laissait voir la chemise et la ceinture. Une mante de couleur foncée était posée comme un chale sur ses épaules, et, pour compléter ce costume à moitié féminin qui contrastait avec la rudesse de son brun visage de Maure, il portait sous son chapeau un foulard noué au menton, dont les pointes retombaient sur le dos. Le fils, d'environ quatorze ans, était vêtu de la même fa?on. Il avait un pantalon également large d'en haut, et rétréci à la jambe, mais il ne portait ni mante ni foulard. Un ruban rose, noué au cou, flottait sur sa poitrine, en guise de cravate; il avait un petit bouquet d'herbes posé sur l'oreille, et son chapeau, orné d'un galon à fleurs, était rejeté en arrière, laissant en liberté un flot de cheveux frisés, qui tombaient sur son front. Son visage malicieux, maigre et brun, était animé par l'éclat de deux yeux africains, d'un noir intense.
Mais c'était la jeune fille qui attirait le plus l'attention. Elle portait une jupe verte à petits plis, sous laquelle se devinaient d'autres jupes superposées, le tout formant un ballon, qui faisait para?tre encore plus menus ses pieds fins et mignons, dans leurs blanches espadrilles. Le relief de sa poitrine se dissimulait sous un fichu jaunatre, parsemé de fleurs rouges. Les manches de velours, d'une couleur autre que celle de son corsage, étaient ornées d'une double rangée de boutons en filigrane, ?uvre des orfèvres juifs. Une triple cha?ne d'or d'où pendait une croix, brillait sur sa poitrine; les mailles en étaient si grosses que, si elles n'avaient été creuses, elles auraient accablé la jeune fille de leur poids. Sa chevelure, noire et brillante, séparée en deux bandeaux sur le front, était cachée sous un foulard blanc attaché sous son menton, puis reparaissait sur sa nuque en une longue tresse, ornée de rubans multicolores, qui descendaient jusqu'au bas de sa jupe.
La jeune fille, un petit panier passé à son bras, demeurait immobile sur le bord du trottoir, regardant fixement tous les curieux, ou admirant les hautes maisons et les terrasses des cafés. Blanche et rose, elle n'avait pas les traits rudes et le teint cuivré des campagnardes. Son visage rappelait, par sa paleur nacrée, celui d'une religieuse noble et élégante, et sous le foulard semblable à une guimpe de nonne, était éclairé par le reflet lumineux de ses dents et par l'éclat de ses yeux timides.
Poussé par une curiosité instinctive, Jaime s'approcha des deux hommes qui, tournant le dos à la jeune fille, étaient en contemplation devant une vitrine d'armurier. Ils examinaient, une à une, les armes exposées, avec des yeux ardents et une mine de dévots, comme s'ils adoraient des idoles. Le jeune homme avan?ait sa tête de Maure, comme s'il e?t voulu l'enfoncer dans la vitrine.
-Des pistolets!... Père, des pistolets! s'écriait-il avec la surprise joyeuse de celui qui se trouve inopinément en présence d'un ami.
L'admiration des deux jeunes Ivicins allait surtout aux armes inconnues, qui leur semblaient de merveilleuses ?uvres d'art: fusil à percussion centrale, carabines à répétition, et surtout ces revolvers qui peuvent tirer plusieurs coups de suite.
L'image de Febrer, se reflétant dans la vitre, fit retourner vivement le père:
-Don Jaime! ah! don Jaime!
Sa surprise et sa joie furent si vives que peu s'en fallut qu'en étreignant les mains de Febrer, il ne se jetat à ses genoux.
-Nous nous amusions, dit-il d'une voix tremblante, à regarder les magasins, en attendant l'heure de nous présenter chez vous... Avancez, les enfants! et regardez bien. C'est don Jaime! c'est le ma?tre! Il y a bien dix ans que je ne l'ai vu, mais je l'aurais tout de même reconnu entre mille.
Febrer, surpris, ne parvenait pas à coordonner ses souvenirs.
-Vraiment, vous ne me reconnaissez pas, se?or? Voyons, Pép Arabi, d'Ivi?a...
Ce nom même ne disait pas grand'chose à Febrer; car, à Ivi?a, il n'y a que six ou sept noms de famille, et un quart des habitants s'appelle Arabi. Pour plus de clarté, l'homme ajouta:
-Je suis Pép Arabi, de Can Mallorquí.
Febrer sourit. Ah! Can Mallorquí! il se rappelait ce modeste domaine où il avait passé une année, dans son enfance. C'était l'unique bien qu'il e?t hérité de sa mère. Mais, depuis douze ans bient?t, Can Mallorquí ne lui appartenait plus. Il l'avait vendu à Pép, qui en était le fermier, comme l'avaient été son père et son a?eul. Jaime avait alors quelque fortune, pourtant, mais à quoi lui servait cette propriété, située dans une ?le écartée, où il ne retournerait jamais? Aussi d'un geste généreux de grand seigneur, l'avait-il cédée à Pép, pour un prix fort peu élevé, calculé d'après le montant du fermage, en lui accordant de longs délais pour le paiement. Depuis quelques années déjà, Pép avait fini d'acquitter sa dette; cependant ces braves gens l'appelaient toujours ?le ma?tre?.
Pép Arabi présenta ses enfants: la jeune fille était l'a?née; elle se nommait Margalida; une véritable petite femme, bien qu'elle n'e?t que dix-sept ans. Le gar?on n'en avait que quatorze: il voulait être cultivateur, comme son père et ses a?eux, mais Pép le destinait au séminaire d'Ivi?a, parce qu'il avait une belle écriture. Ses terres iraient au gar?on honnête et travailleur qui épouserait Margalida. Elle avait déjà plusieurs prétendants; dès son retour, allait commencer la saison des festeigs, ces traditionnelles cours d'amour, et elle choisirait un mari. Quant à Pépet, il était appelé à de plus hautes destinées; il serait prêtre, et quand il aurait dit sa première messe, il deviendrait aum?nier militaire, ou il s'embarquerait pour l'Amérique, comme l'avaient fait d'autres jeunes gens d'Ivi?a, qui gagnaient beaucoup d'argent là-bas et en envoyaient à leurs parents pour l'achat de terres, dans leur ?le natale. Ah! comme le temps passait! Pép avait vu don Jaime presque enfant, quand celui-ci était venu à Can Mallorquí avec sa mère.
C'était Pép qui, le premier, lui avait appris à manier un fusil et à chasser les oiseaux. Il n'était pas marié, et ses parents vivaient encore... Puis, ils ne s'étaient revus qu'une fois à Palma, quand don Jaime lui avait vendu le domaine (grande faveur dont il lui était toujours reconnaissant)-et aujourd'hui qu'il revenait le voir, il était presque vieux avec deux enfants presque aussi grands que son ma?tre!
Pép conta ensuite son voyage, en montrant dans un sourire d'une malice ingénue, sa solide denture de paysan. Ils avaient eu dix heures de navigation avec une mer magnifique. La fille portait leur d?ner dans le panier. Ils repartiraient le lendemain, au petit jour, mais auparavant, il devait s'entretenir avec le ma?tre. Il avait à lui parler d'affaires.
Jaime, surpris, prêta plus d'attention aux paroles de Pép. Celui-ci s'exprimait avec une certaine timidité, et s'embrouillait dans ses explications: ?Les amandiers faisaient la principale richesse de Can Mallorquí. L'année précédente, la récolte avait été bonne, et cette année, elle promettait de n'être pas mauvaise. On vendait les amandes un bon prix aux patrons de barques, qui les transportaient à Palma et à Barcelone. Il avait planté d'amandiers presque toute sa propriété; maintenant il songeait à défricher et à épierrer certaines terres appartenant à don Jaime, pour y faire pousser du blé, ce qu'il fallait pour sa famille, pas davantage.
Febrer ne cacha point son étonnement. Quelles pouvaient bien être ces terres-là?... Il possédait donc encore quelque chose à Ivi?a?...
Pép sourit. Ce n'étaient pas précisément des terres, mais il y avait un promontoire rocheux, avan?ant sur la mer, et l'on pouvait fort bien l'utiliser, du c?té opposé, en construisant sur la pente des terrasses en étage, pour la culture. C'était au sommet de cette falaise que se trouvait la tour du Pirate. Le se?or devait certainement se la rappeler... Une tour fortifiée, datant de l'époque des corsaires. Tout gamin, don Jaime y avait grimpé plus d'une fois, proférant des cris de guerre, et lan?ant à l'assaut une armée imaginaire.
Febrer qui, un instant, avait cru faire la découverte d'une propriété oubliée, sourit tristement. Ah! la tour du Pirate! Il s'en souvenait bien. Elle s'élevait sur un rocher calcaire, une saillie de la c?te, où, dans les interstices de la pierre, poussaient des plantes sauvages. Le vieux fortin n'était qu'une ruine qui lentement s'émiettait sous l'action du temps et les assauts des vents marins. Les pierres se détachaient et tombaient; les créneaux étaient ébréchés.
Lorsqu'on avait rédigé l'acte de vente de Can Mallorquí, la tour n'avait pas été mentionnée, peut-être par oubli, tant elle ne pouvait servir à rien. Pép pouvait donc en faire ce que bon lui semblait, car lui, il ne retournerait jamais dans ces lieux, depuis longtemps oubliés. Comme le paysan parlait de l'indemniser, don Jaime l'arrêta d'un geste de grand seigneur. Puis il se mit à regarder la jeune fille. Elle était vraiment bien. On e?t dit une demoiselle déguisée en paysanne. Là-bas, à Ivi?a, tous les jeunes gens devaient en être amoureux. Le père souriait, satisfait...
-Allons, petite, salue le se?or... Comment dit-on?
Il lui parlait comme à une gamine. Elle, les yeux baissés, le sang au visage, saisit d'une main l'un des coins de son tablier, et murmura d'une voix tremblante:
-Votre servante, se?or!...
Febrer mit un terme à l'entrevue en invitant Pép et ses enfants à se rendre chez lui. Il y avait longtemps que le paysan connaissait Mado Antonia. Elle serait heureuse de les voir. Ils prendraient leur repas avec elle, à la fortune du pot. Lui les reverrait le soir, à son retour de Valldemosa.
-Au revoir, Pép! au revoir, mes enfants!
Et de sa canne, il fit signe à un cocher, assis sur le siège d'une de ces voitures qu'on voit seulement à Majorque, véhicule très léger à quatre roues, égayé d'un dais de toile blanche.
This is an EXACT reproduction of a book published before 1923. This IS NOT an OCR'd book with strange characters, introduced typographical errors, and jumbled words. This book may have occasional imperfections such as missing or blurred pages, poor pictures, errant marks, etc. that were either part of the original artifact, or were introduced by the scanning process. We believe this work is culturally important, and despite the imperfections, have elected to bring it back into print as part of our continuing commitment to the preservation of printed works worldwide. We appreciate your understanding of the imperfections in the preservation process, and hope you enjoy this valuable book.
Dear readers, this book has resumed daily updates. It took Sabrina three whole years to realize that her husband, Tyrone didn't have a heart. He was the coldest and most indifferent man she had ever met. He never smiled at her, let alone treated her like his wife. To make matters worse, the return of the woman he had eyes for brought Sabrina nothing but divorce papers. Sabrina's heart broke. Hoping that there was still a chance for them to work on their marriage, she asked, "Quick question,Tyrone. Would you still divorce me if I told you that I was pregnant?" "Absolutely!" he responded. Realizing that she didn't mean shit to him, Sabrina decided to let go. She signed the divorce agreement while lying on her sickbed with a broken heart. Surprisingly, that wasn't the end for the couple. It was as if scales fell off Tyrone's eyes after she signed the divorce agreement. The once so heartless man groveled at her bedside and pleaded, "Sabrina, I made a big mistake. Please don't divorce me. I promise to change." Sabrina smiled weakly, not knowing what to do...
Life was perfect until she met her boyfriend's big brother. There was a forbidden law in the Night Shade Pack that if the head Alpha rejected his mate, he would be stripped of his position. Sophia's life would get connected with the law. She was an Omega who was dating the head Alpha's younger brother. Bryan Morrison, the head Alpha, was not only a cold-blooded man but also a charming business tycoon. His name was enough to cause other packs to tremble. He was known as a ruthless man. What if, by some twist of destiny, Sophia's path were to intertwine with his?
The day Lilah found out that she was pregnant, she caught her fiancé cheating on her. Her remorseless fiancé and his mistress almost killed her. Lilah fled for her dear life. When she returned to her hometown five years later, she happened to save a little boy's life. The boy's father turned out to be the world's richest man. Everything changed for Lilah from that moment. The man didn't let her experience any inconvenience. When her ex-fiancé bullied her, he crushed the scumbag's family and also rented out an entire island just to give Lilah a break from all the drama. He also taught Lilah's hateful father a lesson. He crushed all her enemies before she even asked. When Lilah's vile sister threw herself at him, he showed her a marriage certificate and said, "I'm happily married and my wife is much more beautiful than you are!" Lilah was shocked. "When did we ever get married? Last I checked, I was still single." With a wicked smile, he said, "Honey, we've been married for five years. Isn't it about time we had another child together?" Lilah's jaw dropped to the floor. What the hell was he talking about?
Loraine was a dutiful wife to Marco since they got married three years ago. However, he treated her like trash. Nothing she did softened his heart. One day, Loraine got fed up with it all. She asked him for a divorce and left him to enjoy with his mistress. The elites looked at her like she was deranged. "Are you out of your mind? Why are you so willing to divorce him?" "It's because I need to return home to get a billion-dollar fortune. Besides, I don't love him anymore," Loraine replied with a smile. They all laughed at her. Some believed that the divorce affected her mentally. It wasn't until the next day that they realized she wasn't fibbing. A woman was suddenly declared the world's youngest female billionaire. It turned out to be Loraine! Marco was shocked to the bone. When he met his ex-wife again, she was a changed person. A group of handsome young men surrounded her. She was smiling at them all. The sight made Marco's heart ache severely. Putting his pride aside, he tried to win her back. "Hello, love. I see that you are a billionaire now. You shouldn't be with suckers who just want your money. How about you come back to me? I'm a billionaire too. Together, we can build a strong empire. What do you say?" Loraine squinted at her ex-husband with her lips curled in disgust.
Katie was forced to marry Dillan, a notorious ruffian. Her younger sister mocked her, "You're just an adopted daughter. Count your blessings for marrying him!" The world anticipated Katie's tribulations, but her married life unfurled with unexpected serenity. She even snagged a lavish mansion in a raffle! Katie jumped into Dillan's arms, credited him as her lucky charm. "No, Katie, it's you who brings me all this luck," Dillan replied. Then, one fateful day, Dillan's childhood friend came to her. "You're not worthy of him. Take this 50 million and leave him!" Katie finally grasped Dillan's true stature—the wealthiest man on the planet. That night, trembling with trepidation, she broached the subject of divorce with Dillan. However, with a domineering embrace, he told her, "I'd give you everything I have. Divorce is off the table!"
Olivia White replaced her sister to be engaged to Vincent Barton. She thought that the one she married would be a disabled man with notorious reputation, while to her surprise, Vincent is actually very handsome with great figure. What’s more, he treats her so well that he tends to satisfy all her requirements with no limits. In front of the public, he is the ruthless heir to the Emperor, while in front of her, he is her clingy husband who only belongs to her.