Le Tour du Monde; d'Alexandrette au coude de l'Euphrate by Various
LE CANAL DE SéLEUCIE EST, PAR ENDROITS, UN TUNNEL (page 140).
Les souvenirs que je recueille ici sont le menu profit d'un voyage qui n'avait pour but ni le plaisir, ni la connaissance d'une région réservée aux touristes audacieux. J'avais en vue de relever les traces de vie grecque, romaine ou byzantine, qu'il était possible de rencontrer dans ce pays où le passé inspire la honte du présent. Cette pensée m'a dicté le choix de la saison, et en même temps l'itinéraire: il me fallait les longues journées d'un printemps déjà avancé; je devais laisser les routes des caravanes, quand elles s'écartent des points jadis occupés. Ce plan m'a bien servi, éloigné souvent des sentiers battus; j'ai pu voir des localités dont les noms sont moins familiers, les habitants encore plus près de la nature, et cela à un moment de l'année où se révèle pleinement leur caractère. Le go?t de l'actualité sera lui-même servi par ces notes rapides: là où j'ai passé, s'allongera bient?t le chemin de fer de Bagdad. Je voudrais donner un aper?u de l'état de cette contrée avant le grand effort de la poussée européenne.
Le service d'Europe le plus rapide à destination d'Alexandrette est celui du Lloyd autrichien. Depuis Smyrne, une brève escale à Rhodes; à Mersina, arrêt plus long, sans grand attrait, et, après une courte navigation nocturne, le navire jette l'ancre à un mille de la c?te où je dois atterrir. C'est le 6 avril; il fait à peine jour; le froid du matin me pénètre, et le paysage, que le recul du continent me présente en un seul tableau, complète la première impression, plut?t pénible. Presque au bord de l'eau, qui est couleur d'ardoise, une montagne haute et abrupte, dont on devine le sommet, mais barrée en travers par une tra?née d'épais nuages noirs, qu'on sent de loin chargés d'humidité, j'allais dire de fièvre. Sous eux, comme écrasée, la ville minuscule: aux extrémités, deux grandes usines, qui rapetissent les autres maisons. L'ensemble est misérable et rebutant. En un clin d'?il, je revois mes aventures de l'année précédente, un peu plus au sud, en Palestine et dans le Haouran: le désert nu et mort, le manque de ressources après un accident soudain, les journées où le soleil aveugle et assomme, et je songe que bient?t, peut-être, je regretterai ce temps gris, cette c?te qui semble inhospitalière, ce port sale et laid, qu'anime au moins cette vie factice et intermittente que produit l'arrivée des bateaux.
En Orient, pour l'étranger de passage, l'activité forcée est, par bonheur, un dérivatif à l'ennui: je suis vite arraché à mes réflexions par les soins du débarquement. Déjà, ces gueux de bateliers ont, sans échelle, on ne sait comment, escaladé le batiment et envahi le pont; au milieu des vociférations gutturales, le prix est débattu, enfin fixé, les bagages enlevés; me voilà devant la douane. Seul Européen qui descende à Alexandrette, j'attire toutes les curiosités, faites surtout de méfiance. Je retrouve avec une colère contenue les espions ordinaires, manches en loques, tarbouches crasseux, regards hébétés, pourtant scrutateurs. Mes malles sont retournées dans la poussière; on explore mes souliers et mes chaussettes; ma caisse de plaques photographiques fait faire à chacun un pas en arrière, et l'agent principal me regarde fixement: ?Dynamite?? Je proteste vainement: l'objet suspect est mis à part, délicatement, sans heurts. Avec les appareils, nouvel émoi; ce gros ?il rond de l'objectif, serait-ce le canon d'un énorme revolver? Et les cartes, papiers imprimés, lettres particulières! autant de choses défendues et séquestrées. Mes vêtements sont rejetés pêle-mêle dans les malles; ce qui ne peut rentrer, je l'emporte à pleins bras, et à l'autre bout de la place, j'atteins l'h?tel. Il est nouveau, partant presque propre, la vie animale n'y pullule pas encore; la chambre est gaie, si la porte ferme mal, et du toit en terrasse on a vue, fort au loin, sur la c?te cilicienne; le paidhi ou gar?on est bel à voir dans sa culotte bouffante, sous sa coiffure à gros gland, avec sa fière moustache, son ?il caressant et malin de Grec des ?les.
Il me quitte bien vite pour suivre un rassemblement. Nous avions à bord un ministre plénipotentiaire; pour lui rendre les honneurs militaires pendant l'escale, la garnison a été mobilisée; elle forme un groupe de costumes variés,-je ne puis dire d'uniformes,-rapiécés avec art; les tuniques noires, à brandebourgs jaunes, alternent avec les vestons bleus ou blancs, les hautes bottes avec les pantoufles. Au commandement, fusils à pierre, fusils de chasse, fusils innomés, s'enlèvent avec assez d'ensemble, pour retomber ensuite à terre avec un incroyable bruit de ferraille. Les physionomies seules ont moins de variété: on n'y lit guère l'intelligence, mais elles sont males et résolues. C'est toujours une race de soldats; sans nul doute, on devra compter avec elle....
VERS LE COUDE DE L'EUPHRATE: LA PENSéE DE RELEVER LES TRACES DE VIE ANTIQUE A DICTé L'ITINéRAIRE.
Mais il fallait songer aux bagages confisqués, que je ne pouvais obtenir sans l'aide du représentant de la France. J'ai eu la bonne fortune de trouver aussit?t notre vice-consul, M. Mercinier; je n'oublierai pas, en dehors de sa victorieuse intervention, son accueil simple et bon.
Il y a quelque courage à accepter un poste comme le sien; dans les dernières années, deux de ses prédécesseurs y sont morts, car jusque dans la ville s'étendent les marécages, et il faut aller loin pour que l'odeur fade, inquiétante, cesse de vous poursuivre. On travaillait à l'assèchement sans précipitation, alla tourca, comme on dit là-bas, et sans méthode; aujourd'hui même, il doit rester beaucoup à faire. Encore ce coin malsain est-il sans grace; on est mal chez soi et peu tenté d'en sortir; il n'y a qu'une seule promenade, la route d'Alep, et, au bout de 2 kilomètres, nul arbre pour l'ombrager. De l'autre c?té, vers Payas, le long de la mer, j'ai d? vite rebrousser chemin; une pluie violente s'était abattue, inondant les rues et la mauvaise chaussée; un piéton ne pouvait franchir les flaques où les chevaux s'enfon?aient à mi-jambe.
L'ANTIOCHE MODERNE: DE L'ANCIENNE ANTIOCHE IL NE RESTE QUE L'ENCEINTE, AUX FLANCS DU SILPIOS (page 137).
Les éclaircies m'ont permis quelques pas hors de l'h?tel, et bien vite, par contagion, je suis redevenu un peu oriental; les buveurs de café, les joueurs de cartes, les fumeurs de narghilés, dés?uvrés de tout ordre, semblent déjà mes familiers, et, machinalement, je distribue les coups de coude aux nez des chameaux pour me livrer passage. Une nouveauté m'intéresse, c'est le restaurant; il ne ressemble pas à ceux que j'ai vus ailleurs, où l'Européen était à part, traité en ma?tre. Ici, il n'y a qu'une vaste salle enfumée; que de monde! et je ne parle pas des mouches. Au beau milieu, le fourneau et le cuisinier; celui-ci veille sur des marmites monumentales, où cuisent des débris multicolores. Inhabile au turc comme à l'arabe, dépourvu d'interprète, j'en suis réduit à désigner du doigt les plats de mon choix, et au cadran de ma montre l'heure où je désire être servi à l'h?tel, dans ma chambre. Somme toute, les talents du traiteur dépassent mon attente; j'y ai mis le prix, du reste: 4 piastres (18 sous), et il para?t que je suis volé de moitié! Mon bon Grec en témoigne une indignation qui m'étonne....
Je suis arrivé à Alexandrette, la veille de Paques; voilà bient?t la ville en fête; les bannières étrangères flottent sur tous les consulats: il y en a d'Espagne, de Suède, de Norvège, et... pour quels nationaux? Le consul de France, protecteur des chrétiens, a l'honneur de présider aux messes.
La première, le dimanche, celle des Latins; jusqu'à l'achèvement de la nouvelle église, le sacrifice a lieu dans une espèce de grange. Les bonnes volontés se sont réunies pour l'orner; les talents ont apporté leur concours; à l'unisson se font entendre le grave harmonium et les mandolines. Le lendemain, les Grecs catholiques ont leur tour; leur chapelle aussi est étroite, mais le pappas a grand air, en dalmatique brodée, et il chante juste. Cette fois, un orchestre entier nous accueille; ne me demandez pas de nommer les instruments..., du moins, ils attaquent avec vigueur. Vers l'offertoire, nous nous levons, on a cru reconna?tre-moins les paroles-la phrase musicale: ?Aux armes, citoyens!? Erreur vite constatée; les gens du pays n'auraient pas si à contre-temps rendu à la France leur hommage, toujours impressionnant.
Mais chargé d'une mission bien définie, je me dispose à partir pour Antioche. Le trajet peut se faire en voiture; mon cocher doit m'éveiller un peu avant le lever du soleil. à une heure du matin, on tambourine à ma porte: c'est lui. Je lui fais comprendre qu'il est beaucoup trop t?t; peu d'instants après, le tapage recommence, et une nouvelle invitation à partir, chaque fois mal re?ue, se reproduit à chaque demi-heure. Le moment fixé arrive enfin; je suis désarmé, dans mon courroux, par l'expression tranquille et souriante de l'homme; on lit sur sa figure le sentiment du devoir exactement accompli.
La route gravit en lacets une pente rapide; on ne peut s'enfoncer dans le pays qu'en empruntant l'unique col qui donne accès vers l'autre versant. Cette barrière a découragé, à plusieurs reprises, les constructeurs de voies ferrées: aucun détour n'est possible, et comment creuser,-entretenir surtout,-un tunnel dans ce massif aux roches friables, inclinées et glissantes? Il faut pourtant relier Alep avec la c?te; mais ce lien s'établira plus au nord; Alexandrette pourrait se trouver prochainement isolée, sans relations suivies avec l'intérieur.
Donc, une montée de deux heures, jusqu'à Be?lan, bourgade en nid d'aigle, sanatorium d'été pour les négociants du port; une descente égale fait suite, et, laissant à ma gauche l'embranchement vers Alep, j'arrive dans la plaine, tout près du lac d'Antioche, vaste marais dont les limites s'étendent ou se resserrent, selon l'abondance des pluies les plus récentes. La longue averse que j'ai subie, le jour de Paques, a multiplié les mares, détrempé la route; l'ouragan a emporté presque tous les ponts; heureusement qu'on sait s'en passer en Turquie, et même, d'habitude, bêtes et gens ne s'y fient guère; ils n'ont pas tort. Mou landau va de cahot en cahot, au milieu des flaques, des tas de pierres, des touffes de roseaux; il quitte souvent le chemin, quand les ornières sont trop profondes. Distraction, après tout; sans ces menues difficultés, le voyage serait monotone: 25 kilomètres en ligne droite, sans accident de terrain; j'ai tout juste aper?u un village, disons un campement formé de masures en bois, et deux tombeaux de saints nosa?rés, dont les petites coupoles blanches se dissimulent à demi sous le feuillage d'un grand arbre centenaire. Pas une maison, quelques champs mal cultivés; seulement, à toute heure, de longues caravanes, chevaux ou chameaux, signalées de très loin par le mouvement régulier des cous des bêtes de somme et le tintement saccadé des clochettes.
LES RUES D'ANTIOCHE SONT éTROITES ET TORTUEUSES; PARFOIS, AU MILIEU, SE CREUSE UN FOSSé.-D'APRèS UNE PHOTOGRAPHIE.
Vers midi enfin, je distingue Antioche: c'est une masse verte, qui repose mes yeux des tons gris de la route et des collines, où l'herbe courte est trop clairsemée; peu à peu tout se précise, maisons et jardins; ma voiture franchit l'Oronte, et, après deux ou trois ruelles, où glisse à chaque pas le sabot des chevaux, s'arrête dans une vaste cour, celle de la locanda arménienne, où je dois trouver un g?te.
Un inconnu me fait monter un escalier étroit et raide et m'introduit dans la pièce d'honneur. Et maintenant, que faire? mon langage est inconnu de tous; un cercle de curieux se forme à nouveau autour de moi, sympathique et empressé, mais ignorant de mes désirs. Un petit gar?on me crie enfin: ?Kawas franci?-Evett, Evett.? Oui et Non, c'est tout ce que je sais de turc. Vaguement renseignée sur moi, la foule se retire; bient?t on frappe à la porte, et avec plaisir je vois entrer, stature imposante et bonne figure, Chakir-Ali-Kawas-Effendi.
C'est le drogman du vice-consulat de France; bien plus, une des notabilités d'Antioche. Il est salué en chemin autant de fois qu'un colonel dans une ville de garnison, qu'un ministre en voyage, et il répond de la main et du sourire, sans montrer ni fatigue, ni orgueil; il a, dans la grand rue, son bureau ouvert à tous, où l'on vient causer librement et se désaltérer. C'est enfin, par-dessus tout, l'obligeance personnifiée; j'en profite aussit?t, le voilà mon guide et mon cicerone.
Il me fait visiter la ville, qui est curieuse, d'aspect vieillot; les rues sont étroites et tortueuses; parfois, au milieu, se creuse un fossé, ruisseau-égout en été, torrent aux jours de pluie. Hormis le bazar et le quartier du petit négoce, Antioche est peuplée de gens silencieux; les fenêtres sur le dehors sont rares, et bien peu s'entr'ouvrent. Il y a pourtant des bruits dans l'air, et de telle nature que j'en viens à me demander: ?Suis-je bien en Orient?? Un grincement continu fait croire au voisinage d'une grande manufacture, et je remarque, de distance en distance, une noria à grande roue, qui élève l'eau de l'Oronte et la déverse dans les jardins. Plus harmonieux, parce qu'il change de note, siffle ou chante, s'élève ou s'affaiblit, est le bruit du vent dans les grands arbres. Tout à l'heure, à l'h?tel, il secouait, à les briser, les vitres mal assujetties, et il me trompait sur la direction du fleuve en faisant refluer les eaux à la surface.
LE TOUT-ANTIOCHE INONDE LES PROMENADES.-D'APRèS UNE PHOTOGRAPHIE.
Antioche est, par l'Oronte, une vaste oasis, en toute saison habitable, grace à ce vent; il ne soulève pas de poussière et rafra?chit sans causer de ravages, parce que les hautes futaies lui donnent où s'accrocher pour ralentir sa course. L'unique fléau, mais presque périodique, ce sont les tremblements de terre; les habitants le savent terrible et construisent leurs maisons en torchis ou en pisé pour éviter des frais qu'une catastrophe soudaine peut rendre inutiles; ou, au contraire, ils élèvent de formidables murailles, qu'ils croient peut-être capables de résister.
La ville antique et la ville moderne ont également souffert des caprices du sol; de la première, il reste fort peu de chose; les débris de ses édifices écroulés sont recouverts par l'épaisse couche de limon, amoncelée peu à peu par la rivière. Cette métropole si fameuse de l'époque hellénistique ou romaine, longtemps résidence royale, centre d'études, ne nous a livré que de très rares débris d'inscriptions; l'ancienne topographie se laisse tout juste deviner, et notre temps ne trouve plus debout que la solide enceinte de Justinien, encore cramponnée aux flancs du vieux Silpios. Pour l'Antioche d'aujourd'hui, les guides des voyageurs ont trop peu de louanges; j'ai admiré plus qu'eux la cité et son cadre, les méandres du fleuve, les grands vergers, les coins de rues bruyants ou discrets, où les bêtes conduisent les hommes, et jusqu'aux cimetières, qui n'ont point l'air délaissé comme de coutume, bien que l'opoponax et les gla?euls envahissent les tombes; j'ai apprécié, au d?ner du soir, même l'invariable r?ti de mouton, l'éclairage fantastique de la grande lanterne sourde, l'empressement du vieux bonhomme qui me servait, et dont j'imitais, malgré moi, la mimique, levant avec gravité le menton et la main droite en signe de dénégation ou de refus courtois.
Accueil très empressé de la société européenne où Chakir m'a introduit. Peu nombreuse, mais, chose trop rare, très unie, elle est groupée auprès de M. Potton, notre vice-consul et compatriote, qu'entourent l'estime et la considération générales. Deux communautés chrétiennes, un médecin grec, un ingénieur civil, M. Toselli et sa famille, forment la colonie; la plupart de ces personnes ne demandent qu'à rester dans le pays, c'est tout dire. M. Toselli est un Italien, depuis longtemps fixé en Syrie; son nom est sympathique à tous les archéologues qui ont visité sa résidence, et plusieurs de mes anciens de l'école d'Athènes s'étaient déjà loués de ses bons offices.
Son fils m'a accompagné à Daphné, le faubourg de plaisance des anciens habitants d'Antioche. Ils y avaient les avantages de la ville et de la campagne, y trouvaient temples et théatres, portiques, salles de bains et de conversation, et en même temps, l'air pur qui y souffle encore maintenant, les eaux vives qui continuent d'y couler, formant des nuées de ruisseaux et de cascatelles. C'est un ensemble de jardins, de frais ombrages, de champs de légumes et de plantations de m?riers. Rien d'oriental encore, hormis l'état des chemins que personne ne para?t entretenir, la pauvreté des cabanes, basses, étroites, et des indigènes en guenilles.
Ceux-ci appartiennent à la secte des nosa?rés, apparentée à l'islamisme, mais qui pourtant s'en distingue. J'aper?ois surtout des bandes de jeunes gar?ons, aux dents magnifiques, un peu étonnés de me voir. Ils mènent là une vie libre et insouciante; ils ont l'art de tout simplifier; en ces lieux-mêmes, il y a quinze cents ans, on célébrait des festins à triple service, à raffinements multipliés; aujourd'hui, chaque enfant nosa?ré cache dans son vêtement un petit sac à farine, qu'il va remplir au moulin voisin. Sent-il la faim venir; il remplit de poudre blanche le creux de sa main, l'arrose de quelques gouttes puisées dans le ruisseau, et le tout est vite avalé.
Le représentant de l'autorité à Antioche est un ka?makam, à qui je dois faire voir mon bouyourltou, c'est-à-dire mes lettres vizirielles, sauf-conduit et recommandation. L'excellent Chakir m'accompagne à la porte du konak et demande le gouverneur; la sentinelle prend un air goguenard et incline la tête sur sa main, qui simule un oreiller.
Ce n'est un secret pour personne dans la ville que ce sous-préfet a, dans le jour, de longues heures d'assoupissement; musulman, il a subi l'influence pa?enne; le délire dionysiaque s'empare de lui, chaque matin, mais des libations consciencieuses lui procurent un repos non troublé jusqu'au coucher du soleil. C'est à une heure tardive que nous sommes admis dans une petite salle obscure; tout autour de la muraille s'étale un banc chargé de coussins, où je m'assieds et où les autres s'accroupissent, laissant à terre leurs pantoufles. Le ka?makam arrive en longs vêtements blancs; on dirait un prêtre de Bacchus; mais il faut croire qu'il est en chemise, car il s'excuse de ce négligé qui m'a charmé. On apporte les ?noirs?, et chacun boit gravement sa petite tasse avec de longs sifflements que je croirais rituels. Lecture est faite de mes papiers, couverts de cette écriture vermiforme, vraiment décorative, que les illettrés d'Europe désignent du nom de ?macaroni?. Je suis en règle; on me répète seulement que j'ai le droit d'étudier les vieilles pierres ?sans les déplacer?. Du reste, la surveillance du gouverneur ne passe pas pour inquisitoriale, et les gens malicieux disent même qu'il y a à Antioche un notable bien plus puissant que lui.
LES CRêTES DES COLLINES SONT COURONNES DE CHAPELLES RUINéES (page 142).
Chakir m'avait promis merveille de ce que je verrais le lendemain dimanche; il a d? remarquer mon peu d'enthousiasme après la fête; et depuis que nous nous sommes ensemble promenés dans Paris, il croit sans doute m'avoir compris: je suis habitué à plus de luxe!-Au vrai, tout Antioche inonde les promenades; les gamins allument des pétards; les femmes vont lentement, par groupes, à l'écart des hommes; de nombreuses épaisseurs d'étoffes les enveloppent, celle de dessus est retroussée et sert de capuchon. L'absence de voile sur le visage distingue seule les chrétiennes; elles ont d'ordinaire un beau type, mais de trop grands yeux noirs, trop immobiles, d'une expression trop invariablement tranquille, qui paraissent encore assombris par artifice; du moins la figure est couverte d'une effroyable couche de fard; et ce maquillage, les couleurs vives gauchement portées, la fa?on dont ces femmes vont s'asseoir, le demi-silence qu'elles observent entre elles, telles que des figurantes de théatre, indifférentes les unes aux autres, tout cela me constitue un décor d'opérette, une turquerie truquée, et j'en éprouve une déception.
ALEP EST UNE VILLE MILITAIRE.-D'APRèS UNE PHOTOGRAPHIE.
Mais j'aurai l'occasion de revoir Antioche sous un meilleur jour. D'ici-là, je dois me rendre à Soueidieh où fut Séleucie de Piérie; M. Toselli m'accompagne. Nous suivons l'Oronte presque jusqu'à la mer, traversant un pays faiblement vallonné, où les lits des torrents s'appellent des chemins; un zaptié ou gendarme est préposé à ma garde. C'est un grand diable d'Arabe au teint cuivré, aux mains larges, aux talents multiples; soldat de profession, au besoin il sera moukre ou loueur de chevaux et valet d'écurie, cuisinier, commissionnaire en tous genres, allumera le feu, ira chercher de l'eau, sollicitera en ma faveur les détenteurs d'antiquités; au demeurant un très brave homme.
LA CITADELLE D'ALEP SE DéTACHE DES QUARTIERS QUI L'AVOISINENT (page 143).-D'APRèS UNE PHOTOGRAPHIE.
Après cinq ou six heures de marche, nous sommes arrivés dans la plaine de Soueidieh, au bord de la mer; c'est un vaste dédale de sentiers rocailleux, serpentant à travers des jardins, des plantations de figuiers et de m?riers, de petits enclos entourant des maisons sordides où grouillent dans le vêtement national, indéfiniment rapiécé, Fellahs et Arméniens. La ville antique occupait l'extrémité nord-ouest de cette plaine; les ruines aussi sont étendues, et j'aurais mis plus de temps à m'orienter sans mon guide qui connaissait la région pierre à pierre. Séleucie, son nom l'indique, est une création d'un Séleucide; il fallait un port à Antioche; on l'a creusé sur le rivage, de main d'homme, et j'en ai pu voir les contours, malgré l'envahissement des sables. La ville partait de là; les maisons, les tombeaux s'étageaient au flanc du Kasios, et l'enceinte, encore partout marquée, enfermait un imposant espace. La haute ville de jadis est remplacée par le village arménien de Caboucié; une heure d'ascension y conduit; la montée est rude, mais au sommet l'ardeur du soleil est moins accablante sans que son éclat s'affaiblisse; et quelle joie pour les yeux que ce panorama! Reprenant une idée déjà ancienne, M. Toselli avait projeté l'établissement d'un chemin de fer de Séleucie à l'Euphrate; il n'a pu réaliser ses plans longtemps m?ris; du moins, ils ont créé un lien entre cette localité et lui; on s'y est disputé l'honneur de l'accueillir, et moi à sa suite.
Avril est le moment de croissance des vers à soie; j'ai re?u l'hospitalité dans leur chambre, au premier étage d'une maison de la plaine, ouverte à tous les vents. Enfouis dans les feuilles de m?riers, ils me donnaient l'illusion d'une petite pluie tombant sur le toit.
LES PAROIS DU CANAL DE SéLEUCIE S'éLèVENT JUSQU'à 40 MèTRES. D'APRèS UNE PHOTOGRAPHIE.
Mais il y avait autre chose pour me distraire; le lit de paille où je reposais livrait asile à tout un menu peuple, et l'on entendait courir par intervalles des h?tes plus gros, et non moins agiles, de cette race qu'a chantée La Fontaine. Pour occuper l'agitation que me causait la leur, j'avais cette précieuse ressource de fredonner deux airs célèbres de la Damnation de Faust et l'émerveillement de constater que le rythme accompagnait assez bien les agaceries qui m'étaient prodiguées. Je garde le souvenir de ces nuits d'Orient, harmonieuses et claires, d'un pittoresque que je poursuivrais vainement à Paris.
M. Toselli m'a dressé un plan des ruines; il n'en existe que d'incomplets, faits à la hate; le sien embrasse l'aire totale de Séleucie. On y suivra le parcours exact de l'extraordinaire canal qui a longtemps protégé le petit port contre les alluvions des torrents; c'est tour à tour un tunnel creusé dans le roc et une tranchée à ciel ouvert, dont les parois verticales se dressent jusqu'à une hauteur de 40 mètres; il est encore aujourd'hui à peu près tel que les soldats romains l'ont fait, et, devant l'énormité de la tache, on devine comme un certain respect dans les ames simples qui, parfois, s'y aventurent.
Je suis revenu par un autre chemin, plus accidenté, qui domine longtemps la vallée de l'Oronte, suivant à mi-c?te les contours du Kasios. Il traverse des champs plantureux où l'habileté des agriculteurs fait merveille; il en faut attribuer l'honneur à des populations chrétiennes; le village de Koderbeg, vers le milieu de l'étape, est dans l'ensemble une colonie d'Arméniens; d'épaisses frondaisons y ombragent les chemins, et les eaux vives y chantent gaiement dans les ruisseaux.....
LES TOMBEAUX DE SéLEUCIE S'éTAGEAIENT SUR LE KASIOS.-D'APRèS UNE PHOTOGRAPHIE.
Et me voilà de retour à Antioche, à la nuit tombée; c'est l'heure favorable, les rues s'animent, les cafés des carrefours sont comme illuminés en même temps que remplis d'une foule bruyante; j'ai l'illusion que la ville me fait fête, au moment où je reviens pour la quitter encore. Je n'ai plus, en effet, qu'à organiser ma caravane: l'interprète est tout trouvé, ce sera le fils Toselli, qui accepte de partager mes aventures. C'est un compagnon précieux qu'un Européen, un homme de notre race et de notre esprit, dans les pays perdus où nous devons nous engager; peut-être a-t-il souffert parfois de la mauvaise humeur que d'autres me causaient; en son absence sans doute, j'en aurais éprouvé de plus fréquents accès. Avec lui, j'ai pris un cuisinier; ce nom semblait convenir au personnage qui se présentait, muni de toute une batterie, avec quatre couteaux énormes, à manches rutilants, plantés dans la ceinture; j'ai vu depuis que c'étaient des armes de parade, comme les ba?onnettes et les fusils hors de service de mes soldats d'escorte. Il n'aurait même pas su ouvrir nos bo?tes de conserves; mais sa paresse dépassait encore son ignorance, et il se grisait sans honte aux heures de liberté. Néanmoins, comme tout Oriental a quelque tour dans son sac, il m'a quelquefois été utile par sa connaissance du kurde; j'ai stationné dans des villages où cette seule langue était parlée, et nul autre que lui ne l'entendait parmi nous. Sa canaillerie même m'est devenue profitable: Kurde au besoin par le langage, il était Turc avec les Turcs, Arménien chez les Arméniens, Arabe devant une tribu de Bédouins, Tcherkesse encore,-? prodige!-s'il le fallait, musulman ou chrétien à volonté. Je ne serais pas étonné que dans tel ou tel campement de nomades, on nous ait fait un accueil passable en raison de la confiance qu'inspirait, durant quelques heures, cet animal d'Abdallah. L'enr?lement du moukre a eu lieu par les soins de Chakir; une sorte de colosse se présente, s'accroupit contre la muraille et commence les négociations. Bient?t son interlocuteur donne des signes de gaieté méprisante: ?Voyez-vous cet imbécile! Il me dit: Fais-lui un bon prix, nous partagerons la différence.? L'illusion du pauvre homme ne dure pas, et l'on revient aux conditions ordinaires; finalement, chacun des deux voisins frotte les paumes de ses deux mains l'une contre l'autre, ce qui, en Turquie, indique marché conclu.
Et le lendemain, de bonne heure, nous prenons le chemin d'Alep. Le départ fait sensation; on ne voit pas tous les jours à Antioche une caravane d'Européens, coiffés du casque de liège, précédés d'un agent de l'autorité, accompagnés de bagages superflus et emportant avec eux leur tente. Au premier moment, je trouve, quant à moi, que nous avons vaguement l'air de saltimbanques: les costumes des voyageurs se ressemblent si peu; l'uniforme du gendarme est plus que défra?chi; le moukre adjoint a sur le dos une casaque indescriptible; le cuisinier est juché très haut sur un amoncellement de sacs et de paniers qui multiplient sur sa personne les réactions de sa monture. Nos chevaux ont pauvre mine: petits, très ensellés, le cou plongeant, la lèvre pendante, l'?il résigné, ils ont pour bride une corde et sont ferrés avec trois clous, aux têtes énormes. Mais je connais leurs pareils pour résistants, insensibles au froid et à la chaleur, capables de fournir des traites de douze à treize heures sans arrêt. Seulement, ils vont toujours au pas ou ne trottinent qu'en maugréant, presque sur place, et régulièrement à l'amble; ils donnent à l'heure 6 kilomètres en chemin plat et vont en file indienne; deux cavaliers qui veulent causer ont grand'peine à mener de front leurs chevaux. Cette allure donne souvent de l'impatience à un Occidental; le cadre où il se meut semble l'accompagner dans sa marche, il a l'illusion de ne pas avancer.
Généralement, on traverse une plaine aux horizons lointains comme ceux de la mer, un peu verte encore après les pluies, en d'autres saisons grisatre sans le soleil, et avec lui flamboyante. Rien n'arrête le regard; pas d'arbres, pas de végétation, un village toutes les trois heures à peine. La vallée de l'Amouk, où je m'engage d'abord, a précisément ce caractère; à midi, nous atteignons le pont jeté sur l'Oronte, qui, près de là, dévie du nord vers l'ouest; pour la première fois, nous voyons quelques habitations, misérables magasins, épiceries, débits de tabac, boutiques de bourreliers. à l'heure du déjeuner, nous ne trouvons qu'un arbre qui puisse nous abriter du soleil; le vent violent venu de la mer soulève la poussière et en couvre nos assiettes.
Nous franchissons ensuite une immense prairie où s'ébattent des chevaux mis au vert; c'est, durant tout l'après-midi, un labeur forcené de retenir nos animaux, qui, malgré leur chargement, trépignent à l'envie d'aller pa?tre avec leurs camarades. La fin du jour nous voit arriver à Yéni Cheir où nous campons: c'est l'heure bénie. Qu'il est loin mon mouvement de répulsion d'Alexandrette! Au lieu des h?telleries misérables, le confort de la tente; on y est bien chez soi; elle est spacieuse, gaie à voir du dehors avec son élégante forme blanche, luxueuse au-dedans par sa décoration multicolore qui fait l'ébahissement des indigènes. Ils viennent toucher du doigt, constater ces réalités inconnues; les femmes surtout, plus éprises d'élégance, même au désert; et elles secouent la tête, manifestent, d'un clappement de la langue, une admiration où il entre quelque indulgence pour tant de vanité. Les bagages sont réunis autour du piquet central, car il faut se méfier des petites mains, expertes à se glisser de l'extérieur entre le bas de la toile et le sol; et mon zaptié est fort occupé à écarter du fouet la bande de gamins, que la curiosité n'attire pas seule devant la porte mobile, rejetée sur un cordage.
à ALEP UNE SEULE MOSQUéE PEUT PRESQUE PASSER POUR UNE ?UVRE D'ART.-D'APRèS UNE PHOTOGRAPHIE.
Yéni Cheir veut dire ?nouvelle plaine?; ce nom a été donné par les gens venus de l'est, surpris de voir soudain ce grand espace découvert, en quittant l'étroit défilé où nous pénétrons nous-mêmes le lendemain: le chemin devient affreux, par moments à peine tracé dans une mer de rochers grisatres. En un point, il a été taillé dans le roc pour les besoins militaires des Byzantins. Partout la solitude; il n'en était pas ainsi, il y a quinze siècles; les crêtes sont couronnées de ruines qui se signalent de très loin à la vue; elles sont toutes de même style, et le marquis de Vogüé les a depuis longtemps étudiées. Ces collines déshéritées ont été choisies à dessein par de grandes communautés, et aussi par des solitaires, les Stylites. Mais de quoi y vivaient-ils? Il n'y a plus trace que de leur existence contemplative, dans d'élégantes petites chapelles aux fines moulures, entourées de portiques branlants qui marquent la place des monastères. Le plus souvent, ces constructions se profilent sur les crêtes, et cela seul les fait apercevoir, car leur ton s'harmonise avec celui des rochers qui ont fourni les matériaux. Néanmoins, au point le plus étranglé du passage, les ruines s'accumulent; puis, brusquement, se produit une large ouverture, et dans une sorte de cirque se dressent les pans de muraille du Deir ou Kasr-el-Benat, le couvent ou le camp des filles. Ce double nom se justifie: le couvent est attesté par la chapelle, dont l'abside s'orne de délicates palmettes et de rinceaux, tout le long de sa corniche; mais c'est aussi un chateau fort, car une grande tour rectangulaire domine tout le reste des batiments. Il a fallu un ?il toujours ouvert sur cette ligne stratégique; les habitants ont d? penser qu'ils ne devaient compter sur le secours de Dieu qu'à condition de se garder eux-mêmes.
Tenterai-je de rendre ici l'impression ressentie? Je suis averti par ma propre expérience: devant le tableau lui-même, le souvenir des descriptions les plus célèbres m'a causé invariablement une déception. La photographie aussi est impuissante: elle traduit bien l'opposition entre l'architecture laborieuse et l'entourage nu, l'isolement qui grandit l'?uvre humaine; mais elle ne donne pas toute sa couleur à ce décor magnifique de majestueuse solitude, à ce curieux bassin où l'accumulation plus facile des eaux de pluie permet à un léger gazon de subsister encore en fin d'avril, contrastant avec la teinte du rocher, terne à l'ombre, mais qu'illumine par endroits une lueur fauve....
TOUT ALENTOUR D'ALEP LA CAMPAGNE EST DéSERTE.-D'APRèS UNE PHOTOGRAPHIE.
éblouissement d'un instant. Le temps s'est plus d'une fois chargé de nuages depuis Antioche; il achève de se couvrir, et c'est la pluie qui m'accueille au terme de l'étape, à Dana. Que dire d'une journée passée sous la tente et le crépitement de l'averse? Un morceau de mouton grille devant la porte et m'enfume à demi; je suis étendu sur mon lit de camp, regardant tomber goutte à goutte, dans une bouteille, l'eau du réservoir d'à c?té que mon filtre transforme en eau pure. Encore un faux besoin dont mes gens se divertissent! Pour eux, la mare rencontrée est suffisante, pourvu qu'on puisse s'étendre à plat ventre sur le bord et approcher les lèvres de la surface. Ils rient d'un autre genre d'inquiétudes que j'ai peine à cacher: la pluie a chassé dans ma demeure, au sec, des parasites, dont leur sommeil s'accommode bien mieux que le mien.... Soudain, auprès de moi, le bruit d'une eau qui s'écoule: un chat vient de renverser la fiole enfin pleine; il faut préparer à nouveau le breuvage du lendemain.
De Dana à Alep, deux journées monotones: toujours cette alternance des champs de terre parfois verdis, livrés autour des villages à de grossières charrues de bois, et des espaces désolés où le roc affleure et fait glisser le sabot des chevaux; à peine trouve-t-on, tous les trois mille pas, quelque figuier sauvage, misérable et comme honteux d'être seul à émerger. Enfin, au sommet d'une colline, nouveau point de vue: Alep appara?t, fouillis grisatre qui va se précisant; mes hommes signalent d'abord une large tour; puis les minarets deviennent plus distincts; la citadelle centrale se détache des quartiers qui l'avoisinent; le détail des constructions s'accentue; au midi seulement, j'aper?ois un peu de verdure; les chemins, aux multiples ramifications, qui convergent vers le chef-lieu de la grande province de Syrie, dessinent plus nettement leurs détours capricieux. Voyant tout alentour la campagne aride et déserte, je me forge l'illusion d'arriver à La Mecque, en pèlerin, après un long itinéraire.
J'entre dans la ville par le quartier neuf, résidence des étrangers et des Levantins aisés; il est élégant, bien bati; les maisons ne sont point entassées et l'air circule. Là sont réunis les grands édifices publics: résidence du vali, lycée impérial, casernes; là se trouve l'h?tel; il marque à peu près la limite extrême du nouveau faubourg; l'ancienne ville commence à quelques pas. Une vieille porte y donne entrée et souligne le défaut de transition: le large boulevard extérieur se continue par une rue étroite, qui est pourtant la voie principale, où prennent fa?ade les administrations, la régie des tabacs, la banque ottomane, les grands comptoirs, et qui traverse le bazar fumeux, empuanti, le marché de la boucherie, où les mouches se collent à la marchandise et au passant. Elle pousse ses zigzags en divers sens, se courbe, se rétrécit, bifurque d'une manière déroutante et finit en cul-de-sac. Toute la ville, d'ailleurs, est un dédale; seuls, les vieux habitants d'Alep sont s?rs de se reconna?tre en tout endroit.
Le Caire impose par ses contrastes heurtés: luxe éblouissant et misère extrême, mosquées élancées et sombres taudis. Damas, plus monotone, a de la masse par l'étendue, mais les habitations sont surbaissées et exigu?s; leur faible hauteur laisse la vive lumière pénétrer un peu partout dans les ruelles. La ville d'Alep est plus froide, plus grise, plus sévère; dans le quartier animé des affaires, on ne le remarque pas instantanément; mais si l'on se glisse dans les voies parallèles, on est frappé de l'élévation des murailles, rarement percées d'étroites fenêtres grillées; le jour et l'air arrivent aux habitants par des cours intérieures. Au dehors, entre ces grands murs nus, on croit longer des prisons ou suivre le chemin de ronde d'une citadelle. Il n'y a pas de gaieté dans la ville proprement dite.
J'en apprécie davantage la chambre où je dois passer quelques jours; ses fenêtres s'ouvrent bien sur un petit marais, mais il n'est pas nécessaire de les ouvrir; j'ai de l'espace et un bon lit de repos pour les heures, forcément longues, de la sieste. La vie de l'h?tel se concentre sous la vérandah, où la table est dressée; j'y retrouve, aux repas, toute une petite colonie européenne, vrai cercle de famille où je suis vite admis cordialement. La torpeur orientale n'a pas eu prise sur lui; on y plaisante, on taquine le propriétaire, le Baron (?Monsieur? en arménien); on se plaint de sa lenteur à exécuter les ordres, et on s'égaie de la réponse: ?Oui, m'chieu, ?a va viendre.? Avant le d?ner du soir et aussit?t après, les groupes de quatre se forment et on entame le poker. Utile passe-temps; ce n'est pas un jeu silencieux; il faut longtemps le prolonger pour gagner ou perdre un quart de medjidié; enfin, il est tellement indiqué en terre ottomane! car tout le monde bluffe plus ou moins en Turquie.
Au dehors, la vie cesse dès dix heures du matin pour ne reprendre qu'à cinq heures du soir; alors, sur la terrasse qui borde le boulevard, sous les toits de paille des cafedjis, hommes et femmes allument les narghilés; les voitures parcourent en nombre la chaussée, et les officiers arrogants caracolent devant les promeneurs. C'est une ville militaire qu'Alep; le vilayet qu'elle commande est de grande étendue, et une partie de la garnison du chef-lieu est souvent appelée au dehors, car le sultan ne jouit pas dans toute la province d'une autorité incontestée. Il y place généralement comme gouverneur un homme énergique; le vali de 1901 n'avait pas son pareil pour la ?poigne?, comme on le vit à Trébizonde lors du massacre des Arméniens. Il arrivait à Alep précédé d'une telle réputation que le corps consulaire tout entier re?ut des ambassades de Constantinople l'ordre formel de ne point entrer en relations officielles avec lui. Cette situation bizarre dure peut-être aujourd'hui encore; en tout cas, il en fut ainsi durant quatre ans au moins, et un consul, publiquement, déclara ce fonctionnaire escroc et assassin, sans que l'affaire e?t plus de retentissement et de suites.
Il y a encore de beaux jours pour l'Homme malade....
(à suivre.) Victor Chapot.
LE KASR-EL-BENAT, ANCIEN COUVENT FORTIFIé.
Droits de traduction et de reproduction réservés.
TOME XI, NOUVELLE SéRIE.-13e LIV. No 13.-1er Avril 1905.
BALKIS éVEILLE, DE LOIN ET DE HAUT, L'IDéE D'UNE TAUPINIèRE (page 147).-D'APRèS UNE PHOTOGRAPHIE.
D'ALEXANDRETTE AU COUDE DE L'EUPHRATE[1]
(SYRIE DU NORD ET MéSOPOTAMIE OCCIDENTALE)
Par M. VICTOR CHAPOT membre de l'école fran?aise d'Athènes.
It was a grand success. Every one said so; and moreover, every one who witnessed the experiment predicted that the Mermaid would revolutionize naval warfare as completely as did the world-famous Monitor. Professor Rivers, who had devoted the best years of his life to perfecting his wonderful invention, struggling bravely on through innumerable disappointments and failures, undaunted by the sneers of those who scoffed, or the significant pity of his friends, was so overcome by his signal triumph that he fled from the congratulations of those who sought to do him honour, leaving to his young assistants the responsibility of restoring the marvellous craft to her berth in the great ship-house that had witnessed her construction. These assistants were two lads, eighteen and nineteen years of age, who were not only the Professor's most promising pupils, but his firm friends and ardent admirers. The younger, Carlos West Moranza, was the only son of a Cuban sugar-planter, and an American mother who had died while he was still too young to remember her. From earliest childhood he had exhibited so great a taste for machinery that, when he was sixteen, his father had sent him to the United States to be educated as a mechanical engineer in one of the best technical schools of that country. There his dearest chum was his class-mate, Carl Baldwin, son of the famous American shipbuilder, John Baldwin, and heir to the latter's vast fortune. The elder Baldwin had founded the school in which his own son was now being educated, and placed at its head his life-long friend, Professor Alpheus Rivers, who, upon his patron's death, had also become Carl's sole guardian. In appearance and disposition young Baldwin was the exact opposite of Carlos Moranza, and it was this as well as the similarity of their names that had first attracted the lads to each other. While the young Cuban was a handsome fellow, slight of figure, with a clear olive complexion, impulsive and rash almost to recklessness, the other was a typical Anglo-Saxon American, big, fair, and blue-eyed, rugged in feature, and slow to act, but clinging with bulldog tenacity to any idea or plan that met with his favour. He invariably addressed his chum as "West," while the latter generally called him "Carol."
Young Folks Treasury, Volume 2 (of 12) by Various
Embracing a Flash-Light Sketch of the Holocaust, Detailed Narratives by Participants in the Horror, Heroic Work of Rescuers, Reports of the Building Experts as to the Responsibility for the Wholesale Slaughter of Women and Children, Memorable Fires of the Past, etc., etc.
Young Folks Treasury, Volume 3 (of 12) by Various
Pumpian is a little town in Lithuania, a Jewish town. It lies far away from the highway, among villages reached by the Polish Road. The inhabitants of Pumpian are poor people, who get a scanty living from the peasants that come into the town to make purchases, or else the Jews go out to them with great bundles on their shoulders and sell them every sort of small ware, in return for a little corn, or potatoes, etc. Strangers, passing through, are seldom seen there, and if by any chance a strange person arrives, it is a great wonder and rarity. People peep at him through all the little windows, elderly men venture out to bid him welcome, while boys and youths hang about in the street and stare at him. The women and girls blush and glance at him sideways, and he is the one subject of conversation: "Who can that be? People don't just set off and come like that—there must be something behind it." And in the house-of-study, between Afternoon and Evening Prayer, they gather closely round the elder men, who have been to greet the stranger, to find out who and what the latter may be.
Due to her father's untimely death, Elara Harrington, 24, was named CEO of Harrington Industries. She had no idea that the business was experiencing financial problems, which led to Ashford Industries, her rival, acquiring Harrington Industries. Sebastian Ashford, the CEO of Ashford Industries a 26-year-old playboy billionaire, is a self-centered, wicked person who believes that everything revolves around him. He is left to clean up Harrington Industries' mess and baggage after his company acquired the corporation. Elara used to be the CEO of her own company, but now she is a secretary to the most selfish and egotistical billionaire. Elara eventually starts to see the true him as they become closer and barriers fall away. Will she be able to get past the billionaire's secret once his dark secret is revealed, or will the damage be too great to undo? *18+ *Includes mature content, slightly graphic scenes, and cursing*
In their three years of marriage, Chelsea had been a dutiful wife to Edmund. She used to think that her love and care would someday melt Edmund's cold heart, but she was wrong. Finally, she couldn't take the disappointment any longer and chose to end the marriage. Edmund had always thought that his wife was just boring and dull. So it was shocking when Chelsea suddenly threw divorce papers at his face in front of everyone at the Nelson Group's anniversary party. How humiliating! After that, everyone thought that the formerly-married couple would never see each other again, even Chelsea. Once again, she thought wrong. Sometime later, at an award ceremony, Chelsea went onstage to accept the award for best screenplay. Her ex-husband, Edmund, was the one presenting the award to her. As he handed her the trophy, he suddenly reached for her hand and pleaded humbly in front of the audience, "Chelsea, I'm sorry I didn't cherish you before. Could you please give me another chance?" Chelsea looked at him indifferently. "I'm sorry, Mr. Nelson. My only concern now is my business." Edmund's heart was shattered into a million pieces. "Chelsea, I really can't live without you." But his ex-wife just walked away. Wasn't it better for her to just concentrate on her career? Men would only distract her—especially her ex-husband.
"The entire wealthy circle in Seattle knew how much Stella Carlson loved Aaron Malone. People watched the childhood sweethearts grow from inexperience to maturity, finally getting married in a grand wedding ceremony. On the day of the wedding, despite the alliance between the Carlson and Malone families, the groom ran away. Stella knew that Aaron had rushed to L.A. to take care of his ex-girlfriend, who had attempted suicide. Unwilling to become the laughingstock of all Seattle, she gritted her teeth and dialed the number of her adversary, her tone almost commanding, "Ethan, come and marry me now. This is your only chance for revenge." On the other end, Ethan Powers raised an eyebrow as he gripped his phone, staring at the floor littered with cigarette butts. "Did the groom run away?" he asked. "My darling."
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