HAUPOIS-DAGUILLON (Ch. P.), ** orfèvre fournisseur des cours d'Angleterre, d'Espagne, de Belgique, de Grèce, rue Royale, maisons à Londres Regent street, et à Madrid, calle de la Montera. - (0) 1802-6-19-23-27-31-44-40. - (P.M.) Londres, 1851. - (A) New-York, 1853. - Hors concours, Londres 1862 et Paris 1867.
C'était un samedi, le Cirque des Champs-élysées donnait une représentation extraordinaire pour la rentrée du gymnaste Otto, éloigné de Paris depuis plusieurs années, et pour les débuts de son élève Zabette.
Depuis quinze jours les murs de Paris étaient couverts d'affiches représentant deux hommes lancés dans l'espace, l'un aux membres athlétiques, musclés comme ceux d'un personnage de Michel-Ange, l'autre mince, délié, gracieux comme un éphèbe athénien; aux quatre c?tés de cette affiche s'étalaient en gros caractères les noms d'Otto et de Zabette. Ce nom d'Otto était bien connu à Paris dans le monde des théatres et de la galanterie, car les succès de celui qui le portait avaient été aussi grands, aussi nombreux, aussi bruyants dans l'un que dans l'autre, et pendant plusieurs années il avait été de mode pour le gros public d'aller voir Otto qui, par la hardiesse de ses exercices, lorsqu'il voltigeait en maillot rose de trapèze en trapèze, arrachait des cris d'admiration à ses spectateurs; comme, dans un autre public plus spécial et plus restreint, il avait été de mode aussi de s'arracher Otto qui sans maillot était plus merveilleux encore.
Quant au nom de Zabette, il était nouveau à Paris; mais, grace aux journaux ?bien informés?, on avait bient?t su que Zabette était un jeune créole qu'Otto avait rencontré en Amérique, et dont il avait fait son élève pour l'associer à ses exercices. Puis d'autres journaux, ?mieux informés encore?, avaient raconté que ce jeune Zabette, bien que portant des vêtements d'homme, était en réalité une jeune fille qui adorait son ma?tre. Et pendant huit jours la question de savoir si ce Zabette était un gar?on ou si cette Zabette était une fille avait suffi pour occuper la badauderie parisienne, toujours prête à rester bouche ouverte, attentive et curieuse, devant ceux qui connaissent l'art, peu difficile d'ailleurs, de l'exploiter.
C'était assez, on le comprend, pour que cette rentrée d'Otto et ce début de Zabette fussent un événement. à deux heures toutes les premières étaient louées, et le soir les bureaux n'ouvraient que pour les places hautes, demandées par des gens qui ne voyaient dans Otto que le gymnaste et que leur honnêteté bourgeoise préservait de la curiosité de chercher à savoir si Zabette était un jeune gar?on on une jeune fille.
à huit heures et demie, devant une salle à moitié remplie pour les places louées et comble pour les autres, le spectacle commen?ait par les exercices ordinaires des cirques fran?ais, anglais, américains ou espagnols, des Champs-élysées ou d'ailleurs: Jupiter, cheval dressé et présenté en liberté; entrée comique; Jeanne d'Arc, scène à cheval.
Qu'il s'agisse d'une première représentation aux Fran?ais, à l'Opéra, aux Folies ou au Cirque, il y a une partie du public, toujours la même, qui du 1er janvier au 31 décembre se rencontre inévitablement dans ces soirées, et qui, bien entendu, se conna?t sans avoir eu souvent les plus petites relations personnelles: on est habitué à se voir et l'on se cherche des yeux.
Au milieu de la scène de Jeanne d'Arc, deux jeunes gens firent leur entrée au moment où Jeanne, à genoux sur sa selle, les yeux en extase, entendait ses voix, et leurs noms coururent aussit?t de bouche en bouche:
-Léon Haupois-Daguillon.
-Henri Clorgeau.
C'était en effet Léon qui, accompagné de son ami intime Henri Clorgeau, le fils de la très-riche maison de Commerce Clorgeau, Siccard et Dammartin, venait assister aux débuts de Zabette. Ils gagnèrent leurs places au quatrième rang, et, au lieu de donner leurs pardessus à l'ouvreuse qui les leur demandait, ils les déposèrent sur les deux places qui étaient devant eux et qu'ils avaient louées pour être à leur aise.
Puis, ayant tiré leurs lorgnettes, ils se mirent à passer l'inspection de la salle, sans s'inquiéter de Jeanne d'Arc qui, debout, dans une attitude inspirée, pressait religieusement son épée sur son coeur en criant: ?Hop! hop!? Le cheval allongeait son galop, et, prenant son épée à deux mains, Jeanne faisait le moulinet contre une troupe d'Anglais invisibles: la musique jouait un air guerrier.
Léon posa sa lorgnette devant lui, et se penchant à l'oreille de son ami:
-Croirais-tu, lui dit-il, que je ne puis examiner ainsi une salle pleine sans m'imaginer que je vais peut-être apercevoir ma cousine Madeleine. C'est stupide, car il est bien certain que la pauvre petite, si elle vit du travail de ses mains, comme cela est probable, a autre chose à faire qu'à passer ses soirées dans les théatres. Mais c'est égal, si stupide que cela soit, je regarde toujours; c'est comme dans les rues ou dans les promenades, où je dois avoir l'air d'un chien qui quête.
-Elle te tient bien au coeur.
-Plus que tu ne saurais le croire; mais elle m'y tient d'une fa?on toute particulière, avec quelque chose de vague et je dirais même de poétique, si le mot pouvait être appliqué à notre existence si banale; c'est un souvenir de jeunesse dont le parfum m'est d'autant plus doux à respirer que les sentiments qui l'ont formé sont plus purs; je penserai toujours à elle, et ce ne sera jamais sans une tendresse émue.
-La police n'a pu rien découvrir?
-Rien. Elle m'a seulement donné une terrible émotion pendant que tu étais à Londres. Un matin on est venu me dire qu'on avait trouvé dans la Seine le corps d'une jeune fille dont le signalement se rapprochait par certains points de celui de Madeleine. J'ai couru à la Morgue, dans quel état d'angoisse, tu peux te l'imaginer. On m'a mis en présence du cadavre; c'était celui d'une belle jeune fille. Dans mon trouble, j'ai cru tout d'abord que c'était elle; mais je m'étais trompé. Jamais je n'ai éprouvé plus cruelle émotion; je vois encore, je verrai toujours ce cadavre et, chose horrible, j'y associerai la pensée de Madeleine tant qu'elle n'aura pas été retrouvée.
Jeanne d'Arc venait de mourir br?lée sur son b?cher, et quelques personnes de composition facile applaudissaient sa sortie.
Il se fit un moment de silence, et comme personne n'entourait encore Henri Clorgeau et Léon, celui-ci, qui n'était nullement à ce qui se passait dans la salle ni à la salle elle-même, continua à parler à l'oreille de son ami.
-Comme je me disposais à sortir de la Morgue, la porte que j'allais ouvrir s'ouvrit devant mon père. Lui aussi avait été prévenu et il était accouru presque aussi vite que moi. Par là, je vis qu'il faisait faire des recherches de son c?té. Lorsqu'il entra, il était aussi pale que le cadavre que je venais de regarder. J'allai vivement à lui en criant: ?Ce n'est pas elle!? ?Dieu soit loué!? murmura-t-il, et il me tendit la main. Ce témoignage de tendresse me toucha, et il en résulta que mes rapports avec mon père et ma mère furent moins tendus; mais je crains bien qu'ils ne redeviennent jamais ce qu'ils ont été. Ils ont cru être très-habiles en for?ant Madeleine à quitter leur maison; ils se sont trompés dans leur calcul.
-Tu ne l'aurais pas épousée malgré eux.
-Ils ont eu peur que je les amène à accepter Madeleine, et pour ne pas s'exposer à cela, ils ont si bien fait que cette pauvre enfant s'est sauvée épouvantée. Qui sait ce qui s'est passé? La lettre que Madeleine m'a écrite est pleine de réticences, et je n'ai jamais pu avoir d'explications ni avec mon père ni avec ma mère.
L'exercice qui suivait la scène de Jeanne d'Arc était un quadrille à cheval; l'orchestre se mit à faire un tel tapage, que toute conversation intime devint impossible.
Alors Léon et son ami s'amusèrent au spectacle de la salle, qui assez rapidement se remplissait, car l'heure arrivait où Otto et Zabette allaient s'élancer sur leurs trapèzes; de tous c?tés apparaissaient des figures de connaissance, des habitués des clubs et des courses; ?à et là quelques femmes honnêtes accompagnées d'amis intimes, et partout les autres, bruyantes, tapageuses, se montrant, s'étalant et provoquant les lorgnettes. à l'une des entrées, juste en face d'eux, de l'autre c?té de l'arène, surgit une femme de trente ans environ, vêtue de blanc avec une simplicité et un go?t qui auraient s?rement affirmé à ceux qui ne la connaissaient pas que c'était une honnête femme.
-Tiens, Cara; dit Henri Clorgeau, là-bas, en face de nous, en blanc comme une vierge; elle adresse des discours à l'ouvreuse, ce qui indique qu'elle n'a pas de place numérotée.
Prenant sa lorgnette, Léon se mit à la regarder.
-Il y avait longtemps que je ne l'avais vue; elle ne vieillit pas.
Et elle ne vieillira jamais; te rappelles-tu qu'il y a dix ans, quand nous la regardions, de tes fenêtres, passer dans sa voiture, elle était exactement ce qu'elle est aujourd'hui.
-Moins bien.
-Elle avait quelque chose de vulgaire qu'elle a perdu au contact de ceux qui l'ont formée.
-Il est vrai qu'on la prendrait pour une femme du monde.
-Et du meilleur.
-Je n'ai jamais vu une cocotte s'habiller avec sa distinction.
-Et ce qu'il y a de curieux, c'est qu'elle est la fille d'une paysanne de la vallée de Montmorency; jusqu'à dix ans elle a travaillé à la terre.
-On ne le croirait jamais à la finesse de ses mains.
-Est-ce que ces cheveux noirs, soyeux, est-ce que ces yeux langoureux, est-ce que ces traits fins, est-ce que ce teint blanc, est-ce que ce nez mince et aquilin, est-ce que ce cou onduleux, est-ce que cette taille longue et flexible ne sont pas d'une fille de race?
-Avec qui est-elle présentement?
-Personne: après avoir ruiné Jacques Grandchamp si complétement qu'il me disait dernièrement que, s'il ne l'avait pas quittée, elle lui aurait tout dévoré: chateaux, terres, valeurs; jusqu'aux comptoirs de la maison paternelle; elle s'est fait ruiner à son tour par une sorte de ruffian de la grande bohème, moitié homme politique, moitié financier, Ackar, de qui elle s'était bêtement toquée.
Pendant qu'ils parlaient ainsi d'elle Cara avait disparu; quelques instants après, elle se montrait à l'entrée qui desservait leurs places et elle s'entretenait vivement avec l'ouvreuse en désignant de la main leurs pardessus.
-Je crois qu'elle voudrait bien une de nos places, dit Léon.
-Si je lui faisais signe de venir; elle nous amuserait.
Et, sans attendre une réponse, il se leva:
-Venez donc, dit-il, nous avons une place pour vous.
* * *
Un roman habilement construit, où Hector Malot dénonce sans concession les intrigues du prince Louis-Napoléon, et nous brosse un portrait riche en couleurs de la société et des caractères du début du Second EmpireLe capitaine Guillaume de Saint-Nérée, officier rigoureux, honnête et loyal au régime républicain, se trouve à Paris au moment du coup d'Etat du 2 décembre 1851 ; il assiste impuissant et révolté au déroulement du complot et en décrit avec précision les mécanismes.De retour en garnison à Marseille, il est chargé de pacifier le pays varois, où se sont insurgés les partisans de la République. Il se retrouve écartelé entre son sens de l'honneur et l'amour qu'il porte à Clotilde, jeune Provençale, charmante, irrésistible et pleine de finesse, fille d'un vieux général de Napoléon Ier.Découvrez les oeuvres d'Hector Malot, publiées par Encrage Edition. Des romans réalistes et sociaux pour plonger au coeur du 19e siècleEXTRAITQuand on a passé six années en Algérie à courir après les Arabes, les Kabyles et les Marocains, on éprouve une véritable béatitude à se retrouver au milieu du monde civilisé.C'est ce qui m'est arrivé en débarquant à Marseille. Parti de France en juin 1845, je revenais en juillet 1851. Il y avait donc six années que j'étais absent ; et ces années-là, prises de vingt-trois à vingt-neuf ans, peuvent, il me semble, compter double. Je ne mets pas en doute la légende des anachorètes, mais je me figure que ces sages avaient dépassé la trentaine, quand ils allaient chercher la solitude dans les déserts de la Thébaïde. S'il est un âge où l'on éprouve le besoin de s'ensevelir dans la continuelle admiration des œuvres divines, il en est un aussi où l'on préfère les distractions du monde aux pratiques de la pénitence. Je suis précisément dans celui-là.A PROPOS DE L'AUTEURHector Malot, né à la Bouille (près de Rouen), le 20 mai 1830, mort à Fontenay-sous-Bois, le 17 juillet 1907, devint, après des études de droit et des emplois de clerc de notaire puis de journaliste, l'auteur d'environ soixante-dix romans de veine réaliste, dans lesquels il offre un panorama fidèle de tous les milieux de la société de son siècle.
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